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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/654

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les origines du dix-huitième siècle.

J’ai montré Saint-Evremond, cet esprit curieux et indépendant qui ne subit de servitude que celle des bienséances mondaines ; ce douteur paradoxal en qui il y a du Montaigne, et du Voltaire aussi, parfois du Montesquieu, quand il juge le peuple romain et ses historiens ; ce franc matérialiste, qui, dans sa vieillesse, forcé de renoncer à tous les plaisirs, éloigna toute espérance indémontrable, et se consola par deux réalités : l’activité de son esprit, et la solidité de son estomac.

Mais que pouvaient ces libertins contre la religion chrétienne, telle que l’avaient faite dix-sept siècles de développement continu ? Au Temple, chez les Vendôme, l’épicurisme était surtout pratique. On ne raisonnait pas, on ne disputait pas : on n’en voulait pas à l’Église, pourvu qu’on n’en sentît pas le joug ; et on lui permettait d’être maîtresse ailleurs. On aimait, on buvait, on jouait, on riait ; on n’en demandait pas davantage.

Plus sérieux étaient les amis de Ninon et Saint-Evremond. L’exercice intellectuel les occupait plus, ne fût-ce que parce que ces épicuriens, lorsqu’ils nous parlent, sont hors d’âge, condamnés à pécher surtout d’intention et de langue. On raisonne donc, on examine, on pose des principes, mais par jeu, pour passer le temps, sans méthode suivie, sans intention de propagande. Ceux-ci non plus, avec leurs railleries légères et décousues, leurs conversations de coin du feu, leurs lettres piquantes, dont ils se divertissent entre gens convertis d’avance, ne sont pas bien redoutables. Mais ils manifestent l’état de conscience et les dispositions d’esprit d’une infinité d’honnêtes gens : et c’est là le fait qui est redoutable.

Mais il fallait d’autres armes et d’autres ardeurs pour jeter à bas l’édifice théologique. Le doute vagabond de Montaigne ne serrait pas d’assez près ces dogmes si fortement liés ; il n’était pas de force à les dissoudre et à les faire écrouler. Il fallait aussi, pour mettre de la suite dans l’attaque, et pour gagner l’esprit du peuple, un amour scientifique du vrai un enthousiaste dévouement à la raison, qui faisait défaut à ces mondains blasés. Le zèle de la vérité fut l’apport de l’aimable, du discret Fontenelle : la méthode critique fut l’apport du savant et solide Bayle.


2. FONTENELLE.


Le cartésianisme, à la fin du siècle, en s’éloignant de la doctrine formelle de Descartes, manifestait de plus en plus la puissance de sa méthode. Le mouvement cartésien aboutit, avec le pieux Malebranche et ses disciples, à dresser un système hétérodoxe, et