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l’éloquence politique.

débuts ; Buzot, en ses derniers temps, trouva dans la violence parfois inintelligente de ses haines une éloquence singulièrement nerveuse et vibrante. Mais puisque Mme Roland, qui était l’âme du parti, n’eut pas accès à la tribune, puisqu’elle fut réduite à verser les passions et les idées qui la brûlaient dans ses Mémoires rédigés en prison, c’est à Vergniaud qu’il appartient, mieux qu’à personne, de représenter l’éloquence girondine [1]. C’était un avocat bordelais, nonchalant, inappliqué, sans connaissances précises, sans netteté pratique. Il avait des tendances plutôt que des idées. Mêlant Montesquieu, Voltaire et Rousseau, il rêvait une république aimable, qui donnât du bien-être et du plaisir, qui développât le luxe et les arts. Il était égalitaire, contre la cour et la noblesse ; absolument indifférent et irréligieux, sans hostilité contre les prêtres ; aristocrate, en face du peuple, moins par conviction politique que par répugnance d’homme bien élevé. Il avait la parole facile, fluide, animée cependant et ardente : il n’était ni profond ni précis, mais il s’échauffait au son de sa propre parole, et il devenait entraînant. Paresseux comme il était, il dressait avec un souci méticuleux les plans de ses discours, numérotant les idées, marquant les paragraphes, piquant ici une image, là un souvenir antique, s’aidant en un mot de tous les secours de la rhétorique classique. Il aimait les effets de répétition : dix fois il ramenait le même mol au début d’une phrase, la même proposition au début d’un paragraphe : il tirait parfois de ce procédé de pathétiques effets. Il excellait à étendre les vastes lieux communs, à remuer les grands sentiments généraux : c’était l’homme qu’il fallait pour discourir sur le danger de la patrie.

En face des Girondins, à la Convention, parmi la foule des Montagnards se détachent Danton et Robespierre [2]. L’éloquence de Robespierre est une prédication, un long enseignement de vertu, un catéchisme verbeux de religion civile, où la théologie édifiante s’entremêle d’aigres diatribes contre les méchants et les impies. Ce Picard bilieux, haineux, pontifiant me fait penser à son compatriote Calvin, à qui il est de toutes façons inférieur, et intellectuellement, et moralement, et littérairement. Il s’acharna à fonder une religion d’État, à formuler en un credo légal le déisme de Jean-Jacques. Il poursuivit sa chimère théocratique, et immola avec sérénité comme ennemis de Dieu et de la vertu tous les hommes qui faisaient ombrage à sa vanité, échec à son ambition.

  1. P.-V. Vergniaud, né à Limoges en 1753, avocat à Bordeaux, député à la Législative et à la Convention, arrêté le 2 juin 1793, guillotiné en octobre.
  2. G.-J. Danton, né en 1759 à Arcis-sur-Aube, avocat, ministre de la Justice après le 10 Août, député à la Convention, guillotiné en avril 1794. — M. Robespierre, né en 1759 à Arras, député aux États Généraux et à la Convention, guillotiné en juillet 1794.