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polémistes et orateurs.

l’occasion des effets sentimentaux, et produire cette éloquence ronflante ou grondant que trop souvent les magistrats sont enclins à prendre pour le sublime. Le général Foy, sous un luxe d’images dont l’éclat a fané, et sous de grands mouvements dont l’accent paraît ampoulé aujourd’hui, cachait une remarquable force d’esprit, une rare audace d’invention oratoire qui se marquait surtout dans la position des questions : on peut voir, à propos du milliard des émigrés, avec quelle franchise d’attaque il établit son argumentation sur le terrain le plus dangereux.

Laissons aussi Camille Jordan [1], un survivant de la Révolution, le clair et prolixe orateur des Cinq-Cents, qui n’apprit jamais à être court, mais dont l’abondance était souvent relevée d’une alerte ironie ; laissons le duc de Broglie qui faisait à la Chambre des Pairs son apprentissage de doctrinaire. Nous retrouverons bientôt Guizot, qui fournissait au maréchal de Gouvion Saint-Cyr le beau discours sur la loi militaire de 1818. Deux orateurs dominent l’éloquence parlementaire de la Restauration : Benjamin Constant et Royer-Collard.

Benjamin Constant [2] fut de ces hommes à qui le public ne marchande pas l’admiration, et qui n’obtiennent jamais pleinement sa confiance ou son respect. Il avait l’âme inquiète, profondément personnelle, avide de plaisirs et de sensations, l’imagination ardente et mobile, l’esprit souple, vaste, actif, lucide : joueur incorrigible, amant toujours passionné et prompt à changer, causeur étincelant, homme d’État inconsistant, déroutant l’opinion par de soudaines

  1. Camille Jordan (1771-1821), Lyonnais. Discours, in-8. 1826. — Le duc Victor de Broglie (1785-1869), gendre de Mme de Staël, fut un des principaux doctrinaires, plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe : Écrits et Discours, 1863, 2 vol. in-8 ; Souvenirs, 4 vol. in-8, G. Lévy.
  2. Biographie : B. Constant de Rebecque (1767-1830), né à Lausanne, reprit la nationalité française comme descendant de famille française réfugiée en Suisse après la révocation de l’édit de Nantes, membre du Tribunat après le 18 Brumaire, exclu comme opposant avec Chénier et d’autres, fut très lié avec Mme de Staël et l’accompagna en Allemagne et en Italie ; ministre de Napoléon aux Cent-Jours, journaliste libéral sous la Restauration, député en 1819. Louis-Philippe lui donna, en 1830, 100 000 francs pour payer ses dettes. — Ses grands ouvrages sur la religion ont été sans influence : Constant y considère surtout le sentiment religieux comme fait psychologique et social ; l’époque n’était guère favorable à une telle étude.

    Éditions : Adolphe, 1816, in-12. De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements, 1824-1831, 5 vol. in-8. Du polythéisme romain considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne, 1833, 2 vol. in-8. Discours, 1828, 2 vol. in-8. Mélanges de littérature et de politique, 1829, in-8. Œuvres politiques, in-12, 1874. J-H. Menos, Lettres de B. Constant à sa famille, Paris, 1888. (Mme Lenormant), Lettres de B. C. à Mme Récamier, in-8, 1821. Lettres à Mme de Charrière, Revue de Paris, 15 oct. 1894. B. Constant, Journal intime et lettres à sa famille et à ses amis, publ. p. Melegari. Ollendorff, 1895, in-8. Le Cahier rouge, 1907. — À consulter : E. Faguet, Politiques et moralistes du xixe siècle ; lady Blenherrassett, Mme de Staël, passim et notamment t. II, ch. iv. G. Rudler, la Jeunesse de Benjamin Constant, 1909 ; Ph. Godet, Mme de Charrière et ses amis, 1906, 2 vol