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C’est que l’homme est un animal terriblement voyageur ; les mers ne l’arrêtent pas, même quand il resté aux stades rudimentaires de l’instrumentation nautique. Un bras de mer étroit, mais ancien, peut séparer deux faunes terrestres ; l’homme sort de sa patrie quelles que soient les barrières qui l’entourent. Il franchit les montagnes comme les mers ; il peut changer de climat, car, ses conditions de vie, il les modifie dans une large mesure ; il emporte avec lui une partie de son milieu, s’en recrée une autre : il s’assure ainsi une marge énorme d’adaptabilité.

Il a des races qui aiment le changement, et dont les colonies aventureuses, successivement essaimées durant des milliers d’années, peuvent avoir parcouru toute l’étendue des terres, bien avant que les Espagnols et les Anglais n’aient fait pareille dissémination sous les yeux de l’Histoire. D’autres races, il est vrai, semblent attachées à la terre nourricière et s’étendent à peine de proche en proche quand les conditions leur sont favorables ; mais les migrateurs les traversent, les bousculent, les refoulent ou les emmènent en captivité.

De sorte que les cartes ethnologiques, au lieu de présenter, comme elles font, des teintes plates en larges espaces, devraient, pour rendre compte des origines, constituer une mosaïque à petit point, avec de vastes jonchées pour certaines couleurs.

Mais une telle mosaïque ne correspondrait pas à l’anthropologie physique. Il s’établit toujours des relations sexuelles entre les populations qui viennent en contact. Aucune haine nationale, aucune interdiction religieuse, aucune distinction de caste n’empêche ce mélange.

Et comme il n’y a qu’une espèce humaine, ou s’il y a plusieurs espèces, que les croisements de ces espèces sont indéfiniment féconds, il se crée des races mixtes. On peut même dire qu’il n’existe à peu près pas de race pure. Il n’y a presque jamais non plus de limite tranchée entre deux races. Par dessus les frontières politiques, sociales, linguistiques, les mélanges font des dégradations insensibles ; seuls, les hasards de l’histoire découpent, dans cette série continue, des groupements artificiels, transitoires, qui s’appellent eux-mêmes des peuples, et se croient des races.

Ni l’affirmation patriotique, ni la philologie, ni l’ethnographie ne doivent être pris pour le signe d’une race. Tous les bâtards veulent être nobles ; les mulâtres s’appellent créoles ; et les Français du Nord, descendants authentiques de Gaulois et de Germains, opposent aux Anglais et aux Allemands, leurs frères par le sang, la solidarité des races latines.

Après une guerre de conquête, comme au cours d’une infiltration pacifique, vainqueurs et vaincus, autochtones et immigrants, s’unissent et se fondent. Cette fusion est un nouveau conflit dans lequel la puissance sociale et la puissance zoologique de chaque race interviennent presque indépendamment l’une de l’autre. Deux appellations nationales, deux langues, deux civilisations se confrontant, celle qui correspond au degré inférieur d’organisation peut disparaître devant l’autre ; mais ce que sera la population dépend du nombre et de la capacité prolifique des générateurs, comme aussi de certains caractères physiques qui marquent chez