Page:Lapointe - Une voix d’en bas - Échos de la rue, 1886.djvu/138

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« Bras dessus, bras dessous, moi, j’erre avec les masses ;
« Je n’ai point de dédain, moi, pour les populaces.
« Il est temps que la muse, abdiquant ses grands airs,
« Marche un peu dans la boue où germeront tes vers.
« Debout ! ajouta-t-elle, et hors du lit détale.
« Ce matin visitons les barrières ; allons !
« Pour le monde qui bâille au milieu des salons,
« Faisons tomber les murs de notre capitale. »

— Madame, y songez-vous ? — « Il faut faire un tableau
« Pris sur nature même et dans sa couleur vraie. »
— Mais de la Vérité le grand monde s’effraie !
— « Attachons son miroir aux grilles du château. »

Et me laissant tenter, je passai donc ma blouse.
Nous sommes à cette heure en plein extra muros,
Près des chenils où vont nos descamisados.
Avis : N’en dites rien, messieurs, à mon épouse.



I

LE MATIN


Des hommes en frocs verts, à la fois chiens et loups,
Soldats de la gabelle appelés gabelous,
Dont l’apparition menaçante ou funeste
Vise mon pot-au-feu, ma chopine et le reste,
Aux angles de l’octroi, debout, d’un œil perçant,
Jusqu’au fond du regard fouillent chaque passant ;
Et sur les chariots qui roulent vers la ville,
Avec sonde et crochet sautent d’un pied agile.