Page:Laporte - Émile Zola, 1894.djvu/175

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s’efforce naturellement d’en suggérer une idée ou une image aussi adéquate que possible. Aujourd’hui cette fidélité scrupuleuse prend même un caractère absolu, presque unique ; elle tend à constituer tout le beau de l’œuvre littéraire. Décrire quoi que ce soit avec une froide exactitude et faire admirer cette exactitude seule, tel est l’idéal du naturalisme. Mais le résultat de l’art poussé dans cette voie n’est-il pas de nature à blesser la délicatesse des lecteurs d’élite ? Si la chose décrite est repoussante, si c’est un sale vice, une ordure, ceux-ci doivent à la description consciencieuse tout ensemble le plaisir de l’admiration et le déplaisir du dégoût, conflit fâcheux de deux impressions contraires. Mais il y a encore pis à redouter : il est à craindre que chez le commun des lecteurs le tableau ne délecte moins le goût des mots justes savamment disposés que l’animalité persistante dans la bête humaine, animalité ou cynique, ou sournoise, ou même inconsciente. Il s’en faut de beaucoup que chez tous le sens de la dignité humaine accompagne le sens littéraire. Dès lors, en dépit de ses intentions, même irréprochables, ce qui n’est pas le cas dans le naturalisme, se trouve engagée la responsabilité de l’écrivain, sinon devant les lois de son genre, du moins devant celles de la concurrence vitale entre les peuples, car c’est à la plus forte santé morale que demeure l’avantage. Sans