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« Je ne me dissimule pas les difficultés de ma tâche ; en voulant frapper un coupable, j’atteins, je ne dirais pas un innocent, mais un écrivain que beaucoup se figurent, en raison du bruit et de la réclame qu’il fait autour de son œuvre, être au-dessus de toute appréciation et de toute attaque ; en vous demandant d’appliquer toutes les sévérités de la loi à ce précoce assassin qui donne la mort parce qu’on lui refuse de l’amour, je semble accuser de complicité l’auteur qui, par ses doctrines matérialistes, a armé la passion brutale et bestiale de cet adolescent contre l’innocence de cette jeune fille.

» Si, représentant inflexible de la justice et de la société, je vous réclame la tête qui, ravagée par des doctrines aussi funestes, semble avoir agi sous cette influence, ne m’accuserez-vous pas d’épargner la tête qui a pensé et inspiré des insanités aussi dangereuses ; si je flétris la main qui a pris le poignard et qui a frappé, ai-je le droit d’amnistier, par mon silence, la main qui l’a présenté et qui l’a dirigé ? Oui, ma tâche est lourde et cruelle ; où est le vrai coupable ? Est-ce celui qui a commis l’acte moral, le livre, ou celui qui a commis le fait brutal, le meurtre ? Tant valent l’auteur et ses livres, tant vaut le lecteur, vous dira la défense. Le coupable, ajoutera-t-elle, élevé dans un milieu plus honnête, nourri de doctrines saines et fortifiantes et protégé, contre ses