Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/272

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Atteste encor le droit vaincu, mais éternel ;
Sa lèvre, où vibre encor un nom, un cri suprême,
N’a pas avec son sang laissé fuir un blasphème ;
Humble et simple croyant, mais soldat indompté,
Il meurt, sans avoir craint et sans avoir douté,
Ferme en sa juste cause et s’offrant pour victime.
Il garde, il garde aussi la vision intime ;
L’amour lui parle encor plus haut que ses douleurs
Et ses yeux vaguement cherchent des yeux en pleurs.

Or, le don de souffrir avec le sang s’épuise,
Dans ce corps déchiré que la vertu maîtrise ;
De l’esprit survivant à ce dernier effort
Une clarté sereine approche avec la mort,
Et du monde invisible illumine l’entrée ;
Cette âme, enfin, des sens à demi délivrée,
Voit commencer pour elle, aux portes du tombeau,
La seconde naissance et le monde nouveau.
Konrad, autour de lui, sent frémir dans l’espace,
Comme un grand chœur d’oiseaux qui passe et qui repasse
À tous les horizons il entend à la fois
Chanter et palpiter des ailes et des voix.
Chère et sainte musique à son cœur familière !
C’est l’accent des soupirs, le vol de la prière
Que sa mère et sa sœur, — infatigable amour ! —
Lancent pour lui vers Dieu, supplié nuit et jour.
Il voit monter, monter de ces âmes fidèles
L’essaim de leurs vertus, paré de blanches ailes,
Les travaux, les douleurs, trésor accoutumé
Offert pour la rançon de l’enfant bien-aimé.
L’air en est tout peuplé de ses saintes colombes,
Il s’en est envolé de tant de chères tombes !