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La Villa des Ancolies

main que voici… Depuis les trois ans qu’il était à notre bureau il m’a chanté sa flamme en de longues épitres dithyrambiques et comme je semblais insensible à sa prose il a enfourché Pégase et j’ai chez moi quelques milliers de vers en l’honneur de ma petite personne. Il a été admis à la pratique en janvier dernier et alors, enhardi par sa nouvelle dignité, il est venu me demander un entretien sérieux. Si vous aviez vu, marraine, comme il était drôle ! À la fois timide et fat, tout glorieux de son nouveau titre et des prérogatives qu’il lui accordait, mais aussi, tremblant de ne pas voir sa démarche couronnée de succès. Je ne lui ai pas laissé le temps d’aborder la grande question que je sentais sur ses lèvres : « Mon petit Jean, » lui dis-je, « inutile de parler, je sais que vous venez me répéter en prose et de vive voix ce que vous avez déjà tenté de me dire dans le langage des dieux. Je suis très heureuse de votre succès, oh ! mais très, très heureuse et je vous en félicite. Vous avez toujours été pour moi un très gentil compagnon, je vous estime beaucoup, je crois même que je vous aime ; mais je n’en suis pas encore certaine. De votre côté vous alliez me dire que vous m’aimiez aussi. En êtes-vous bien certain vous-même ? Ce que vous prenez pour de l’amour, n’est-ce-pas simplement une bonne camaraderie, résultat de notre communauté de travail ?

— Vous savez bien…

— Je ne sais rien du tout, savant maître, je ne sais rien et comme je suis orpheline, je dois être d’autant plus prudente que je n’aurai personne à qui demander conseil. Vous avez vingt-trois ans, je n’en ai pas encore vingt, rien ne presse, nous ne devons pas agir à la légère. D’ailleurs, vous avez votre clientèle à faire et, pour cette tâche, vous avez besoin de toute votre liberté.

— Alors ?…

— Alors, je vais vous proposer un marché : nous allons demeurer une année complète