Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 4, Au-Az.djvu/143

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l’entour, Cérès refusait aux laboureurs ses moissons dorées ; Bacchus semblait en vain y promettre ses doux fruits ; les grappes de raisin se desséchaient au lieu de mûrir. Les Naïades tristes ne faisaient point couler une onde pure ; leurs flots étaient toujours amers et troublés. Les oiseaux ne chantaient jamais dans cette terre hérissée de ronces et d’épines, et n’y trouvaient aucun bocage pour se retirer ; ils allaient chanter leurs amours sous un ciel plus doux.. Là, on n’entendait que le croassement des corbeaux et la voix lugubre des hiboux ; l’herbe même y était amère, et les troupeaux qui la. paissaient ne sentaient point la douce joie qui les fait bondir. Le taureau fuyait sa génisse, et le berger, tout abattu, oubliait sa musette et sa flûte. ■

« J’étais, lui répondit cette ombre, Nabopharsati, roi de a superbe Babylone. Tous les peuples de l’Orient tremblaient au seul bruit de mon nom ; je me faisais adorer par t les Babyloniens dans un temple de marbre,

« où j’étais représenté par une statue d’or, devant laquelle on brûlait nuit et jour les plus précieux parfums de l’Ethiopie. Jamais personne n’osa me contredire sans être aussitôt puni ; on inventait chaque jour de nou ■ veaux plaisirs pour me rendre la vie plus

« délicieuse. J’étais encore jeune et robuste ; hélas t que de prospérités ne me restait-il

« pas encore à goûter sur le trône ! Mais une

> femme que j’aimais, et qui ne m’aimait.pas, m’a bien fait sentir que je n’étais pas un

> dieu ; elle m’a empoisonné ; je ne suis plus

> rien. On mit hier, aveo(pompe, mes cendres dans une urne d’or ; on pleura ; on s’arracha les cheveux ; on fit semblant de vouloir se jeter dans les flammes de mon bûcher pour mourir avec moi ; on va encore gémir auprès du superbe tombeau où l’on amis mes cendres ; mais personne no me regrette ; ma

> mémoire est en horreur, même dans ma fa ■ mille ; et ici-bas je souffre déjà d’horribles

> traitements. »

Télémaque, touché de ce spectacle, lui

dit : « Etiez-vous réellement heureux pendant votre règne î Sentiez-vous cette douce paix sans laquelle le cœurdemeure toujours serré et flétri au milieu des délices ? — Non, ré > pondit le Babylonien ; je ne sais même ce

■ que vous voulez dire. Les sages vantent cette paix comme l’unique bien ; pour moi, « je ne l’ai jamais sentie ; mon cœur était sans cesse agité de désirs nouveaux, de crainte et d’espérance. Je tâchais de m’étourdir moi-même par l’ébranlement de mes pas > sions ; j’avais soin d’entretenir cette ivresse pour la rendre continuelle ; le moindre in ■ tervalle de raison tranquille m’eût été trop amer. Voilà la paix dont j’ai joui ; toute autre a me parait une fable et un songe ; voilà les biens que je regrette. ■

< Télémaque, voyant les trois juges qui étaient assis et qui condamnaient un homme, osa leur demander quels étaient ses crimes. Aussitôt le condamné, prenant la parole, s’écria : « Je n’ai jamais fait aucun mal ; j’ai mis tout mon plaisir à faire du bien ; j’ai été magnifique, libéral, juste et compatissant ; que peut-on donc me reprocher ? • Alors Minos lui dit : < On ne te reproche rien à l’égard des

« hommes ; mais ne devais-tu pas moins aux hommes qu’aux dieux ? Quelle estdonc cette justice dont tu te vantes ? Tu n’asmanqué à aucun devoir envers • les hommes, qui ne sont rien ; tu as été vertueux, mais tu as ■ rapporté toute ta vertu à toi-même, et non aux dieux, qui te l’avaient donnée ; car tu voulais jouir du fruit de ta propre vertu et

« te renfermer en toi-même ; tu as été ta divinité. Mais les dieux, qui ont tout fait et qui n’ont rien fait que pour eux-mêmes, ne peuvent renoncer a leurs droits ; tu les as oubliés, ils t’oublieront ; ils te livreront à

« toi-même, puisque tu as voulu être à toi, et

« non pas à aux. Cherche donc maintenant, si tu le peux, ta consolation dans ton propre cœur ! Te voila àjamais séparé des hommes, > auxquels tu as voulu plaire ; te voilà seul avec toi-même, qui étais ton idole ; apprends qu’il n’y a point de véritable vertu sans le

« respect et l’amour des dieux, à qui tout est dû. Ta fausse vertu, qui a longtemps ébloui les hommes faciles à tromper, va être cons fondue. Les hommes, ne jugeant des vices et des vertus que par ce qui les choque ou les accommode, sont aveugles et sur le bien

« et sur le mal ; ici, une lumière divine ren■ verse tous leurs jugements superficiels ; elle

« condamne souvent ce qu’ils admirent, et justifie ce qu’ils condamnent. •

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« Le jour n’y finit point, et la nuit, avec ses sombres voiles, y est inconnue ; une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d’un vêtement. Cette lumière n’est point semblable à la kimière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n’est que ténèbres ; c’est plutôt une gloire céleste qu’une lumière : elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal ; elle n’éblouit jamais ; au contraire, elle, fortifie les yeux, et porte au fond de l’âme je ne sais quelle sérénité ; c’est d’elle seule que ces hommes bienheureux sont nourris ; elle sort d’eux, et elle y rentre ; elle les pénètre et s’incorpore à eux comme les aliments s’incorporent à nous. Ils la voient, ils la sentent, ils la respirent ; elle fait naître en eux une source intarissable de paix et de joie ; ils sont plongés dans cet abîme de joie, comme les poissons dans la mer. Ils ne veulent plus rien ; ils ont tout sans rien avoir, car ce goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur ; tous leurs désirs sont rassasiés, et leur plénitude les élève au-dessus de tout ce que les hommes vides et affamés cherchent sur la terre ; toutes les délices qui les environnent ne leur sont rien, parce que le comble de leur félicité, qui vient du dedans, ne leur laisse aucun sentiment pour tout ce qu’Us voieut de délicieux au "dehors. Ils sont tels que les dieux, qui, rassasiés de nectar et d’ambroisie, ne daigneraient pas se nourrir des viandes grossières qu’on leur présenterait à la table la plus exquise des hommes mortels. Tous les maux s’enfuient loin de ces lieux tranquilles ; la mort, la maladie, la pauvreté, la douleur, les regrets, les remords, les craintes, les espérances même, qui coûtent autant de peines que les craintes ; les divisions, les dégoûts, les dépits ne peuvent y avoir aucune entrée. Les hautes montagnes de la. Thrace, qui, de leur front couvert de neige et de glace depuis l’origine du monde, fendent les nues, seraient renversées de leurs fondements posés au centre de la terre, que les cœurs de ces hommes justes ne pourraient pas même être émus. Seulement ils ont pitié des misères qui accablent les hommes vivants dans le monde ; mais c’est une pitié douce et tranquille, qui n’altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leurs visages ; mais leur joie n’a rien de folâtre ni d’indécent ; c’est une joie douce, noble, pleine de majesté ; c’est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte. Ils sont, sans interruption, à chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère qui revoit son cher fils qu’elle avait cru mort ; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s’enfuit jamais du cœur de ces hommes ; jamais elle ne languit un instant ; elle est toujours nouvelle pour eux ; ils ont le transport de l’ivresse sans en avoir le trouble et l’aveuglement.

■ Ils s’entretiennent ensemble de ce qu’ils voient et de ce qu’ils goûtent ; ils foulent à leurs pieds les molles délices et les vaines grandeurs de leur ancienne condition, qu’ils déplorent ; ils repassent avec plaisir ces tristes et courtes années où ils ont eu besoin de combattre contre eux-mêmes et contre le torrent des hommes corrompus, pour devenir bons ; ils admirent le secours des dieux, qui les ont conduits comme par la main à la vertu, au milieu de tant de périls. Je ne sais quoi de divin coule sans cesse au travers de leurs cœurs, comme un torrent de la divinité même qui s’unit à eux ; ils voient, ils goûtent, ils sont heureux et sentent qu’ils le seront’toujours. Ils chantent tous ensemble les louanges des dieux, et ils ne font tous ensemble qu’une seule voix, une seule pensée, un seul cœur ; une même félicité fait comme un flux et reflux dans ces âmes unies.

Dans ce ravissement divin, les siècles coulent plus rapidement que les heures parmi les mortels ; et cependant mille et mille siècles écoulés n’ôtent rien à leur félicité, toujours nouvelle et toujours entière. Ils régnent tous ensemble, non sur des trônes que la main’ des hommes peut renverser, mais en eux-mêmes, avec une puissance immuable ; car ils n’ont plus besoin d’être redoutables par une puissance empruntée d’un peuple vil et misérable. Ils ne portent plus ces vains diadèmes dont l’éclat cache tant de craintes et de noirs soucis ; les dieux mêmes les ont couronnés de leurs propres mains, avec des couronnes que rien ne peut flétrir. »

« Les hommes passent comme les fleurs qui s’épanouissent le matin, et qui le soir sont flétries et foulées aux pieds. Les générations des hommes s’écoulent comme les ondes d’un fleuve rapide ; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui paraît fe plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher filsl toi-même, qui jouis maintenant d’une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n’est qu’une fleur qui sera presque aussitôt séchée qû’éclose. Tu te verras changer insensiblement : les grâces riantes, les doux plaisirs, la force, la santé, la joie s’évanouiront comme un beau songe ; il ne t’en restera qu’un triste souvenir : la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l’avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné ; hélas ! tu te trompes, mon fils ; il se hâte, le voilà qui arrive ; ce qui vient avec tant de rapidité n’est pas loin de toi, et le présent qui s’enfuit est déjà bien loin, puisqu’il s’anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent ; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu par la vue de l’avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l’amour de la justice, " une place dans cet heureux séjour de la paix. »

Aventure» d ÀrUloiioù» (LES), Conte dans

le genre antique, par Fénelon. Rien de plus simple que les faits racontés dans ce petit chef-d’œuvre. Sophronyme, réduit à la pauvreté après -avoir perdu les richesses qu’il devait tenir de ses ancêtres, vit en sage dans l’Ile de Délos. Un jour, il aperçoit sur le rivage un étranger d’un âge déjà avancé. Il suppose qu’il veut aller au temple d’Apollon, et il offre de l’y conduire. Dans le chemin, l’étranger raconte ses aventures : il se nomme Aristonoùs ; il a été abandonné par ses parents dans son enfance, et il est devenu l’esclave d’un homme riche et vertueux de patare, nommé Alcine, qui, après lui avoir donné une instruction très-développée, l’a affranchi et l’a envoyé exercer ses talents près de Polycrate, tyran de Samos. Après avoir amassé de grands biens, il a voulu revoir la Lycie, où il espérait retrouver son ancien maître Alcine. Mais celui-ci était mort après avoir perdu toute sa fortune. Parmi les fils d’Alcine, un seul, nommé Orciloque, lui avait survécuT et l’on croyait généralement qu’il avait péri dans un naufrage. Alors Aristonoùs avait retrouvé ses propres frères à Clazomène, mais il en avait été fort mal reçu, parce qu’il s’était présenté à eux sous de pauvres apparences. Il les avait punis d’abord de leur inhumanité, puis H leur avait pardonné et les avait enrichis. Ayant appris plus lard qu’un fils d’Orciloque vivait encore à Délos, il n’avait d’autre but, en venant dans cette Ile, que de le retrouver. Or, ce fils d’Orciloque n est autre que Sophronyme lui-même. Aristonoùs l’emmène avec lui en Lycie ; la, il lui montre une maison simple, mats agréable, entourée de jardins remplis de fruits et de plantes utiles ; il le conduit ensuite dans une belle prairie où erraient de grands troupeaux mugissants ; puis il lui fait don de tout cela, en fui disant qu’il est heureux de le voir rétabli dans l’ancien patrimoine de ses ancêtres. Après avoir ainsi témoigné sa reconnaissance

Eour les bienfaits d’Alcine, en assurant le boneur de son petit-fils, Aristonoùs retourna près de sa famille ; mais, chaque année, il faisait un voyage en Lycie pour revoir Sophronyme. Enfin, il vint une année où le navire qu’attendait Sophronyme ne portait que les cendres d’Aristonoùs. Sophronyme, après avoir donné un libre cours à ses larmes, déposa l’urne cinéraire dans le tombeau d’Alcine, et un myrte naquit au milieu du tombeau dès le premier jour, ce qui fit penser à tout le monde que les dieux, pour récompenser Aristonoùs de sa vertu, l’avaient changé en myrte.

« Les Aventures d’Aristonous, dit M. Villemain, respirent ce charme attendrissant qui n’est donné qu’à quelques hommes : à Virgile, à Racine, à Fénelon. Dans ce morceau de

?uelques pages, on devinerait l’auteur du Téémaque, comme dans le Dialogue de Sylla

et d’Eucrate on reconnaît Montesquieu. Il n’appartient qu’aux hommes véritablement supérieurs de pouvoir renfermer ainsi dans un cadre très-étroit l’essai de tout leur génie. »

La plupart des éditions qu’on a faites des Aventures de Télémaque contiennent aussi, à la fin du volume, les Aventures d’Aristonoùs, qui méritent, à tous les égards, d’occuper cette place.

Aventure» de Kol.in.on CruioS (LES), roman anglais de Daniel de Fo8, qui parut en 1719. Il y a longtemps qu’on ne compte plus les éditions de ce livre si justement populaire, que les enfants dévorent avec avidité, que les hommes mûrs savourent avec délices et que les vieillards relisent avec un nouveau plaisir. Qui ne sourit encore à ce nom devenu

cosmopolite de Robinson Crusoë ? Avec sa naïveté charmante, La Fontaine avouait qu’il aurait pris un plaisir extrême à entendre conter Peau d’Ane ; qu’eût donc dit le bonhomme si son enfance avait été bercée avec Jiobinson ? Ahl les beaux vers qu’il nous eût faits sur le héros de Foe et sur son compagnon Vendredi !... Quel est donc le secret de l’intérêt puissant qui nous attache au récit de ces aventures imaginaires ? Pourquoi Robinson nous passionne-t-il plus que le pieux Enée ou l’indomptable Achille ? C’est que ses idées, ses sentiments, ses paroles, ses actions, se font jour au milieu des situations les plus surprenantes, les plus variées et les plus dramatiques, sans jamais sortir, cependant, de notre nature vulgaire ; c’est que les détails, les événements les plus simples comme les plus extraordinaires sont présentés avec un si incomparable sentiment de la réalité, qu’il semble impossible que Robinson doive seulement son existence à un caprice de l’imagination. Jamais fiction, dans aucune langue, n’a semblé revêtue de tant de caractères de vérité, tandis que, d’autre part, elle met en relief un haut enseignement moral qui aie mérite de se dégager de lui-même du récit, sans que jamais l’auteur ait besoin d’éveiller à cet égard l’attention du lecteur. C’est là que l’on voit tout le parti que l’homme peut tirer de ses facultés naturelles, pour surmonter les difficultés d’une situation extraordinaire et presque désespérée. La lecture de ce livre captive le jeune âge, le charme par l’intérêt tour à tour terrible et touchant des situations, et par le merveilleux des aventures ; elle ouvre, étend ses idées, et surtout provoque ses réflexions par les notions légères, mais assez fidèles, qu’elle lui donne sur les arts mécaniques, la navigation, le commerce, la variété des climats, etc. Robinson est le type de ces hommes qu’un impérieux besoin de mouvement et l’attrait des aventures inconnues poussent hors du cercle où le sort les a fait naître. De ses deux frères, l’un était mort, l’autre avait disparu ; ses parents le supplient, les larmes aux yeux, de ne pas les abandonner ; les conseils de ses amis, les remontrances de sa raison, les remords de sa conscience ont beau le retenir, il y a dans sa nature une inclination fatale ; il faut qu’il aille à la mer. En vain, à la première tempête, le repentir le reprend ; il noie dans le vin ces accès de conscience. En vain un naufrage et le voisinage de ta mort l’avertissent ; il s’endurcit et s’obstine. En vain la captivité chez les Maures et la possession d’une plantation fructueuse lui conseillent le repos ; l’instinct indomptable se réveille ; « il est né pour êire son propre destructeur, ■ et il se rembarque. Le vais-Seau périt, il est jeté seul dans une lie dé a rt. A * A’o«t. nli-.vs nnp l’ATlp.ri>ie n

c’est alors que l’énergie n

îploi ; il faut que, comme

son emploi ; il faut que, comme ses descendants, les pionniers d’Australie et d’Amérique, il refasse et conquière une à une les inventions et les acquisitions de l’industrie humaine : une à une, il les reconquiert et les refait. Rien n’arrête son ardeur, ni lç paisible possession, ni la lassitude du travail. À ses yeux, le travail est chose naturelle. Quand, pour se barricader, il va couper dans les bois des pieux qu’il enfonce et dont chacun lui coûte un jour de peine, il remarque que cet ouvrage est très-laborieux et très-ennuyeux ; ■ mais, dit-il, quel besoin avais-je de considérer si une chose que je faisais était ou non ennuyeuse-, puisque j’avais assez de temps pour la faire et que je n’avais point d’autre occupation ? > N’ayant qu’une hache et un rabot, il consacre quarante-deux jours à faire une planche. Il emploie deux mois à fabriquer ses premières jarres, et en met cinq à construire son premier canot ; ensuite, il aplanit le terrain depuis son chantier jusqu à la mer ; nuis, ne pouvant amener son canot jusqu’à leau, il commence à creuser un canal ; enfin, calculant qu’il lui faudrait dix ou douze ans pour achever 1 œuvre, il construit à un autre endroit un autre canot, avec un autre canal long d’un demi-mille, profond de quatre pieds, large de six. Il y met deux ans. ■ J’avais appris, dit-il, k ne désespérer d’aucune chose. Dès que je vis celle-là praticable, je ne t’abandonnai plus. « Toujours reviennent, chez Robinson, ces fortes paroles d’indomptable patience. Il y a, en somme, pour lui un plaisir intime et profond, en se retournant de tous côtés, de voir partout l’œuvre de ses propres mains. Il se sent homme en retrouvant la marque de son labeur et de sa pensée ; il rentre volontiers chez lui parce qu’il y est maître, et il y dîne gravement en roi, avec son chien, son chat et son perroquet pour sujets. Enfin, on voit apparaître la religion. Dans cette âme passionnée et inculte qui, ■ huit années durant est restée sans pensée et comme stupide, » enfoncée dans le travail manuel et sous les besoins du corps, la foi s’enracine, nourrie par la solitude et l’anxiété. Un jour, dans un accès de fièvre, il se repent, il ouvre la Bible et y lit ces mots qui s’appliquent à sa situation : • Invoque-moi dans tes jours d’angoisse, et je te délivrerai. » Désormais la vie spirituelle s’ouvre pour lui. Plus tard, un compagnon vient partager la solitude de Robinson ; c7est un nègre, l’excellent Vendredi, qu’il sauve d’une mort affreuse ; quelques années après, sa petite royauté s’étend sur deux autres personnes qu’il délivre également, et dont l’une est le père de Vendredi. Enfin, un jour, un vaisseau vient jeter l’ancre dans une petite haie, en face de l’Ile, et Robinson quitte son lie, non sans avoir répandu deslarmes sur ce séjour où il avait été si raalheu-