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ments de ce qui devait être le fort Murgrave, répondait avec aplomb aux représentations que lui faisait Bonaparte : « Tranquillise-toi ; quand je croirai utile de débusquer les ennemis, ils partiront. »

On ne riait de rien dans ces jours solennels, et Bonaparte, jeune, n’était pas rieur de sa nature. Il s’affligeait de l’ignorance du général en chef ; il en craignait les suites fâcheuses pour l’armée de siège ; mais il ne pouvait rien contre son supérieur, dont les plans fantastiques contrariaient incessamment les siens.

On peut dire que le général en chef Carteaux accumula fautes sur fautes dans ce commandement du siège de Toulon.

Notre intention, on le conçoit, ne saurait être de donner ici l’histoire détaillée de ce siège, et d’en suivre jour par jour les péripéties. Il nous suffira de dire que, jusqu’au moment où Carteaux cessa d’y commander, Bonaparte s’y vit perpétuellement contrarié par l’ignorance et la présomption du général en chef, brave homme au demeurant, mais dont les procédés militaires parurent, dans le temps, les plus étranges du monde aux juges compétents.

On en raconte, en effet, des traits incroyables. Ainsi Carteaux proposa un jour à Bonaparte d’établir sur une hauteur, entre le fort Malbousquet et les forts Rouge et Blanc, tous trois occupés par les Anglais, une batterie qui les mitraillerait à la fois ; il fit mieux, il lui ordonna de faire construire cette batterie. Les militaires expérimentés savent que c’est en plaçant contre un fort trois ou quatre batteries dont les feux convergent, que le feu de l’assiégeant peut avoir l’avantage sur celui de l’assiégé ; ils savent également que de faibles batteries, construites à la hâte, ne peuvent rien contre des batteries établies avec soin et le relief de la fortification permanente. Il fut impossible à Bonaparte de faire comprendre à Carteaux que la batterie qu’il ordonnait de construire serait rasée en un quart d’heure, et que les canonniers en seraient tous tués. Force fut cependant à Carteaux de retirer cet ordre impossible à exécuter.

Une autre fois, il voulait faire construire une batterie sur la terrasse d’une maison de campagne, mais cette terrasse était si étroite que, par l’effet du recul, les canonniers ne pouvaient manquer d’être écrasés par les débris de la maison.

On n’en finirait pas si l’on voulait rapporter tous les faits du même genre qui illustrèrent devant Toulon le commandement de ce général en chef, si peu digne de l’être. Bonaparte était renversé par la tactique militaire de Carteaux, et déjà sans doute il méditait ce mot célèbre qu’il devait prononcer en Espagne : « Il (Sébastiani) me fait marcher de surprise en surprise. »

On peut dire avec justice que tout ce qui s’exécuta de bien à ce siège, sous le commandement de Carteaux, fut fait pour ainsi dire en dépit de Carteaux, par Bonaparte, qui ne lui obéissait que dans la rigoureuse mesure hiérarchique exigée par la discipline militaire, dont le jeune officier, malgré les bouillonnements de son naissant génie, avait un sentiment très-profond.

C’est ainsi que, dès son arrivée, Bonaparte fit élever, presque malgré son général en chef, les batteries qu’il baptisa lui-même de la Montagne et des Sans-culottes, batteries qui jouèrent un si grand rôle durant le siège, et ne cessèrent de jeter l’alarme parmi les assiégés. Le feu en était épouvantable : les premières chaloupes anglaises furent coulées bas, quelques frégates furent démâtées, quatre vaisseaux de ligne furent si fort endommagés, qu’ils durent entrer dans le bassin pour y être réparés.

Ce fut pendant la construction d’une de ces batteries que Bonaparte, ayant besoin de dicter un ordre, demanda un homme qui sût écrire. « Présent, capitaine, » répondit un sergent d’un bataillon de la Côte-d’Or. Comme il achevait d’écrire sur l’épaulement de la batterie, un boulet ennemi, qui venait de frapper à côté, le couvrit de terre, lui et son papier. Bon ! dit le secrétaire improvisé ; je n’aurai pas besoin de sable. C’était Junot. Cette preuve de sang-froid fut l’origine de sa fortune. Bonaparte prit aussitôt le sergent en amitié, et ce sergent devint successivement officier, chef de bataillon, aide de camp, général, enfin duc d’Abrantès. On sait que pareille chose arriva au siège de Stralsund, à Charles XII et à son secrétaire. C’est identique, seulement c’est tout le contraire, comme disait le caporal instructeur faisant exécuter l’exercice de flanc droit et de flanc gauche : l’exclamation de terreur du Suédois, en passant par la bouche du soldat bourguignon, s’était changée en un mot plaisant.

À propos de ce fameux siège de Toulon, première page d’une grande histoire, nous allons rapporter encore un fait excessivement honorable, où la calomnie joue, comme partout, un bien vilain rôle.

Un jour, un canonnier ayant été tué à une batterie, Bonaparte arracha le refouloir de ses mains et se mit à charger lui-même dix ou douze coups. Quelques jours après, il était couvert d’une gale très-maligne : le canonnier mort en était infecté. Bonaparte apprit ce détail de son adjudant, le brave Muiron, tué depuis, colonel aide de camp du général Bonaparte, auquel il sauva la vie, au prix de la sienne, en le couvrant de son corps, à la bataille d’Arcole, le 16 novembre 1796.

Entraîné par l’ardeur de sa jeunesse et par sa passion pour le service, Bonaparte se contenta d’un léger traitement. Le mal sembla disparaître ; il n’était que rentré. Cette maladie cutanée, gagnée devant Toulon au service de la République, affecta longtemps la santé de Napoléon ; mais la cause en était si glorieuse, qu’on rougit en songeant aux cruelles épigrammes qu’elle devait inspirer plus tard (1814) aux royalistes. De telles armes, si lâchement empoisonnées, ne blessent que les mains qui ont le courage de s’en servir.

Cependant, et malgré Carteaux, la liberté d’action de Bonaparte devenait de jour en jour plus grande. Il y avait à peine quinze jours qu’il était arrivé, et déjà tout le monde, hors le général en chef, semblait disposé à ne suivre que ses avis. Gasparin et Salicetti, délégués de la Convention, qui présidaient aux opérations du siège, l’écoutaient avec déférence ; Gasparin surtout en faisait les plus grands éloges et lui donnait, malgré sa jeunesse, les marques d’une sorte de respect bienveillant, qui allèrent profondément au cœur du jeune officier. Il s’en souvint dans son testament de Sainte-Hélène, bien qu’il ne fût resté que quelques jours avec ce représentant, qui mourut le 11 novembre suivant. Dans le sein du conseil, Gasparin appuyait toujours les avis du jeune officier et les soutenait contre ceux de Carteaux.

À partir du 9 octobre 1793, jour de la prise de Lyon par l’armée des Alpes, le secours que la soumission de cette ville permettait d’envoyer donna l’espoir d’une prompte réduction de Toulon, et Bonaparte fit tout ce qu’il put pour hâter cette reddition. Le 15 octobre, il soutint opiniâtrement au conseil que le vrai point d’attaque était le fort Murgrave, appelé par les Anglais le Petit-Gibraltar ; que Toulon était là, ajoutant que soixante-douze heures après la prise de ce fort, l’armée de siège aurait recouvré Toulon. Là-dessus, Carteaux, appelé à donner son avis, répondit que la chose valait peut-être la peine d’être examinée ; et, après huit jours de profonde méditation il envoya l’ordre suivant à son jeune subordonné :

« Le commandant de l’artillerie foudroiera Toulon pendant trois jours, et le quatrième, je ferai attaquer la ville par trois colonnes. » Ce mot souligné sonnait admirablement dans une bouche républicaine.

Ce ton d’assurance de Carteaux rappelle parfaitement — avec une légère nuance que le lecteur saisira — celui que prendra plus tard le général en chef de l’armée d’Italie, en se parlant à lui-même. La scène se passe dans son cabinet des Tuileries ; le premier consul est couché tout de son long sur une carte, et il s’écrie, en présence de son secrétaire, qui l’écoute avec surprise : « Ce pauvre M. de Mêlas passera par Turin… il se repliera vers Alexandrie… Je passerai le Pô… je le joindrai sur la route de Plaisance, dans les plaines de la Scrivia… et je le battrai là, là !… » Et, en disant ces mots, il piquait une épingle à San-Giuliano (village qui se trouve dans la plaine de Marengo). La suite prouvera que c’était là une vision extraordinaire de l’avenir.

Cette héroïque résolution, le foudroiement de Toulon, fut le coup de grâce du pauvre Carteaux. L’ordre pittoresque du général en chef et le projet de Bonaparte furent expédiés au comité de Salut public par un courrier extraordinaire, dépêché par Gasparin lui-même, et Carteaux fut immédiatement révoqué.

Un dernier mot sur ce type curieux de nos armées de la République. Le général était accompagné de Mme  Carteaux, femme de bon sens. Son mari lui faisait en particulier des doléances sur ce que son autorité semblait tomber de ses mains dans celles de Bonaparte. « Laisse faire ce jeune homme, répondait Mme  Carteaux ; il en sait plus que toi, et il ne te demande rien. Ne te rend-il pas compte exactement de tout ? la gloire te reste, et, s’il fait des fautes, elles seront pour lui. » Dans une autre circonstance, elle lui disait : « Ne t’y trompe pas : Bonaparte a trop d’esprit pour rester longtemps un sans-culotte. — Citoyenne Carteaux, répliqua le général en se redressant fièrement, car il se sentait blessé dans son amour-propre ; citoyenne Carteaux, c’est donc à dire que nous sommes tous des bêtes ? — Je ne dis pas cela, mon ami, reprit-elle sur le ton d’Alceste à Oronte ; je dis seulement que ce jeune homme ne te ressemble en aucune manière. »

Gasparin tomba malade sur ces entrefaites, et partit pour Orange, son pays, où il mourut presque aussitôt.

Carteaux avait commandé en chef devant Toulon depuis fin août jusqu’au 6 novembre, c’est-à-dire pendant deux mois et six jours ; et Bonaparte avait servi sous lui du 23 septembre au 6 novembre, c’est-à-dire pendant quarante-cinq jours.

Bonaparte, qui avait appris à estimer Carteaux, comme homme et comme républicain, a dit plus tard de lui que ce n’était pas un méchant homme, mais un officier très-médiocre. Il ne lui garda nullement rancune des rapports tendus qu’ils avaient eus au siège de Toulon, et, devenu premier consul, il le nomma d’abord administrateur général de la loterie, puis administrateur de la principauté de Piombino. Carteaux exerçait de nouveau les fonctions d’administrateur de la loterie, lorsque, le 17 mars 1804, il écrivit à Bonaparte la lettre suivante, qui a passé sous nos yeux à la vente de la collection Villenave : « Général premier consul, comme dit le proverbe, où l’on trouve son bien on le reprend. C’est à ce titre que j’ai accepté de vous offrir, d’après la soumission ci-jointe des actionnaires d’Avignon, la somme de 166,650 francs qu’ils vous restituent sous le titre précieux de don à la patrie pour les frais de la guerre. Une telle offrande répugnera peut-être à votre cœur, mais je crois que, sans blesser ni votre religion ni votre honneur, vous pouvez accepter. » Le premier consul accepta et fit verser la somme au trésor public. Carteaux, qui n’avait jamais su s’enrichir dans les diverses fonctions qu’il avait exercées, et qui était devenu infirme, fut mis à la retraite à son retour d’Italie, et reçut de celui dont il avait été autrefois le supérieur une pension de 3,000 fr. sur la cassette particulière de Napoléon. Cet honnête républicain mourut au mois d’avril 1813. Comme on le voit, le ciel lui avait accordé vingt ans pour méditer sur la prédiction de la citoyenne Carteaux.

Enfin, le 17 novembre 1793, le général français Dugommier vint prendre le commandement du siège de Toulon. Napoléon, à Sainte-Hélène, a fait de ce général ce bel éloge : « Il avait toutes les qualités d’un vieux militaire ; extrêmement brave de sa personne, il aimait les braves et en était aimé. Il était bon, quoique vif, très-actif, juste ; avait le coup d’œil militaire, du sang-froid et de l’opiniâtreté dans le combat. »

Il n’y a ici que cinq lignes ; mais cela peint.

Dès la première entrevue, le vieux général et le jeune officier d’artillerie s’entendirent à merveille et se parlèrent comme s’ils s’étaient connus toute leur vie. Ils poussèrent de concert le siège avec une vigueur extraordinaire.

Bonaparte venait d’être nommé, par rang d’ancienneté (21 novembre), troisième chef de bataillon de son régiment, lorsque Robespierre jeune vint remplacer Gasparin en qualité de délégué de la Convention. Comme les autres, le frère de Maximilien ne tarda pas à être frappé de la fiévreuse activité de Bonaparte ; nous verrons tout à l’heure ce que cette attention valut au jeune officier.

De jour en jour, les assiégeants faisaient de nouveaux progrès. Le 14 décembre, les représentants du peuple, Robespierre jeune, Salicetti et Ricord réunirent à Ollioules un conseil de guerre, où l’assaut du fort Murgrave fut résolu.

Toulon était là, selon la pittoresque expression de Bonaparte, et Dugommier, avec son tact militaire, le comprenait comme lui ; mais c’était un rude morceau à emporter que ce fort Murgrave. Il le fallait emporter cependant, ou se résoudre à voir traîner le siège en longueur, et à ne prendre Toulon que dans un délai qui n’allait point à l’impatience de ces temps de fiévreuse ardeur. Il fallait donc tout tenter et tout braver pour enlever cette position aux Anglais. Trois mille hommes de leurs meilleures troupes et quarante-quatre pièces de gros calibre défendaient le fort Murgrave, qu’ils jugeaient imprenable, et auquel ils avaient donné le nom de Petit-Gibraltar. Le commandant des Anglais avait même dit : Si les Français emportent cette batterie, je me fais jacobin. Les plus grands moyens de défense étaient accumulés dans cette grande redoute, située sur le promontoire du Caire, d’où l’on domine la ville. C’était, on se le rappelle, cette même position que, le surlendemain de son arrivée à l’armée, Bonaparte avait proposé au général en chef Carteaux de faire occuper par une force suffisante, avant que les Anglais se fussent avisés eux-mêmes de son importance et s’y fussent solidement établis, l’assurant que dans huit ou dix jours il serait maître de Toulon.

Tous les efforts furent dirigés sur ce point, et d’abord sans succès. Bonaparte avait fait construire, à 120 toises de la redoute anglaise, comme le meilleur moyen de l’entamer, une batterie masquée, qui fut foudroyée au moment où elle commençait à tirer. Et cette batterie masquée avait été jugée par Bonaparte indispensable au succès de l’opération. C’est ici que l’énergie morale du jeune officier devait se montrer dans toute sa puissance. Les canonniers effrayés refusaient de servir cette batterie. Bonaparte, persuadé plus que jamais que toute attaque sur un autre point serait vaine pour l’unique objet qu’il fallait se proposer ; que la prise de Toulon dépendait absolument de celle du Petit-Gibraltar ; qu’il ne fallait viser qu’à cela, qu’en un mot Toulon était là, Bonaparte s’avisa d’une de ces ressources morales que les grands capitaines savent seuls employer à l’occasion, lorsqu’ils agissent sur des soldats tels que les soldats républicains d’alors. Il fit, de sa personne, ce qu’il devait faire plus tard à Arcole et au pont de Lodi ; il l’exposa tout entière. Il se fit apporter un poteau et chargea Junot, qui, comme nous le savons, avait une belle écriture, d’y adapter un écriteau en gros caractères, portant ces mots : Batterie des hommes sans peur, et il alla en personne, avec Junot, le planter en avant de la batterie. Puis il s’écria qu’il ne commandait à personne d’y servir, mais qu’il attendait les hommes sans peur. Son courage inspira un courage égal à tout le monde. Tous les canonniers de l’armée voulurent servir cette batterie, remontée en un moment. C’était le 16 décembre 1793. Elle commença immédiatement à jouer, et ne cessa son feu, ce jour-là, qu’à minuit. Le lendemain 17, d’autres batteries furent établies et dirigèrent un feu roulant. Il va sans dire que les Anglais ne furent pas sans riposter de leur mieux. D’après ce qui avait été concerté entre le général en chef et le commandant de l’artillerie Bonaparte, ce jour-là même, toutes les troupes républicaines se rassemblèrent pour l’attaque générale du fort Murgrave. Il pleuvait à verse. La division qui avait été placée dans la village de la Seyne, du côté de l’ouest, témoignait, malgré le mauvais temps, une ardeur et un enthousiasme extraordinaires. Dugommier avait formé son armée en quatre colonnes, qui devaient toutes opérer à la fois ; et, le 27 frimaire an II (17 décembre 1793), malgré la plus vive résistance, et au cri de Vive la République, nous fûmes maîtres à minuit du fort Murgrave.

Dans cette attaque, le général Laborde et le capitaine Muiron furent grièvement blessés. Bonaparte eut un cheval tué sous lui, et reçut au mollet un coup de sabre d’un canonnier anglais. Une lettre datée du lendemain et écrite par les représentants, qui avaient assisté de leur personne à cette brillante et périlleuse affaire, rendit compte au comité de Salut public du succès de la chaude journée de la veille.

Mais Toulon n’était pas encore au pouvoir des troupes républicaines. Il fallait donc battre le fer pendant qu’il était chaud. Le 28 frimaire (18 décembre 1793), toute l’artillerie de siège bombarda Toulon, et l’on s’empara d’un autre fort important, le fort Malbousquet ; ce qui fit dire par Bonaparte aux commissaires de la Convention : « Demain, ou après-demain au plus tard, vous souperez dans Toulon. » En effet, le 20 frimaire, l’armée républicaine prit possession de la ville ; des lettres, du même jour, de Robespierre jeune et Salicetti et du général en chef Dugommier, annoncèrent à la Convention l’entrée dans Toulon de l’armée victorieuse ; et telle avait été la part glorieuse que Bonaparte avait prise au succès du siège, qu’il en reçut immédiatement la récompense. Il ne figurait sur les cadres réguliers de l’armée qu’avec le grade de chef de bataillon d’artillerie, le troisième de son régiment et le cinquante et unième de l’arme, qui, d’après l’Almanach national de l’an II, en comptait soixante-sept. Le lendemain 30 frimaire, les représentants du peuple l’élevèrent provisoirement au grade de général de brigade d’artillerie, lui faisant ainsi franchir les deux grades intermédiaires de lieutenant-colonel et de colonel. Cette nomination fut confirmée et rendue définitive par le comité de Salut public, où siégeait Carnot, c’est-à-dire par le gouvernement, le 18 nivôse an II (7 janvier 1794).

Le nom de Bonaparte figure pour la première fois, dans l'Almanach national de France de l’an III (de septembre 1794 à septembre 1795), parmi les généraux de brigade de l’armée d’Italie, page 219, sous cette forme : Buonoparté, et non dans celui de l’an II, comme on l’a dit par erreur, parce que celui de l’an III avait déjà paru à la fin de 1793. Dans celui de l’an IV (après le 13 vendémiaire), on lit, page 103 : Armée de l’intérieur. Citoyen Buonaparte, général en chef. Dans celui de l’an V, page 105 : Armée d’Italie. Citoyen Buonaparte, général en chef. Mais nous anticipons. Revenons à 93.

En conséquence de sa nomination, qui n’avait besoin que pour la forme de la sanction du gouvernement, puisque les délégués de la Convention près des années pouvaient conférer des grades, Bonaparte assista en uniforme d’officier général à un dîner qui fut donné à Toulon par l’ordonnateur en chef Chauvet, en l’honneur des représentants du peuple Robespierre jeune, Salicetti, Ricord et Fréron. Dans le menu figurait, par plaisanterie, comme pièce de résistance, une bombe française qui, pendant le siège était tombée sans éclater dans la maison où l’on dînait, appartenant à un citoyen de Toulon fidèle à la République. La bombe républicaine avait compris qu’elle était sous le toit d’un ami, et qu’elle devait se comporter de manière à ne pas faire de bruit pour ne point réveiller les petits enfants de son hôte. Pendant une partie du repas, ce fut un feu roulant de bons mots sur l’intelligence de cette bombe.

Le 28 décembre 1793, Dugommier adressa à la Convention son rapport général sur le siège de Toulon, qui fut lu en séance publique, et où le nom de Bonaparte tient en quelque façon la première place parmi ceux qui ont le plus contribué à la prise de la ville. C’est dans ce rapport, qui parut au Moniteur universel, que fut consigné pour la première fois le nom de Bonaparte, sous cette forme : Buona-Parté.

L’attachement et l’estime de Dugommier, qui devait bientôt trouver une mort glorieuse à l’armée des Pyrénées-Orientales, laissèrent dans l’âme de Napoléon un profond souvenir, souvenir qu’il consigna à Sainte-Hélène de la façon suivante, dans le quatrième codicille de son testament, parmi les legs qu’il se plut à faire à tous ceux dont la mémoire lui était chère ou à leurs descendants : « Deuxième legs : idem, au fils ou petit-fils du général Dugommier, qui a commandé en chef l’armée de Toulon, la somme de 100, 000 francs ; nous avons, sous ses ordres, dirigé et commandé