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une fortune considérable. Il fut donc ministre anglican, et exerça quelque temps les fonctions pastorales dans sa patrie. Mais la succession apostolique sur laquelle s’appuie l’Église anglicane devint bientôt pour lui l’objet d’un doute pénible. Il crut y remar

? uer des interruptions et en demeura conbndu.

L’étroitesse de sa constitution, qui ne permet à un pasteur d’y exercer ces fonctions que s’il a reçu la consécration dans l’Église anglicane, le décida à s’en séparer ; l’Église perdit toute consistance à ses yeux et il s’imagina n’avoir plus rien à faire qu’à réunir autour de lui < les enfants de Dieu dispersés, » Il n’eut d’abord que trois ou quatre adeptes, mais il se fit plus tard de nombreux disciples à Plymouth, ou leur nombre atteignit bientôt le chiffre de sept ou huit cents personnes ; il se forma ensuite de plus petits groupes darbystes à Londres, à Exeter et dans quel âues autres endroits. Il paraît qu’au début’ es principes communistes, inspirés par l’esprit le plus évangélique et par l’imitation de la primitive Église, avaient été résolument adoptés par quelques-uns au moins des frères de Plymouth, qui voulaient mettre en commun leurs biens au profit des pauvres. Les darbystes fondèrent bientôt un journal : le Témoignage chrétien (Christian Witness), auquel M. Darby, âme de toute la secte, fournit de nombreux articles. Puis commença avec l’âge mûr, pour M. Darby, la période des grands voyages de missionnaire. Il n’y a pas un pays de l’Europe où M. Darby ne soit allé plusieurs fois présider des réunions, commencer la propagande et préparer la fondation de petites congrégations faites à l’image de celle qu’il avait fondée à Plymouth. Il n’est pas jusqu’aux Indes que lui ou ses disciples n’aient, comme ils disent, « évangélisées, » sans parler du Canada et des États-Unis, qui naturellement leur ont offert un vaste champ d’action. En Europe, et a part sa propagande active en Angleterre, la partie la plus dramatique de ses missions fut un essai d’acclimatation du darbysme en Suisse, particulièrement dans le canton de Vaud. Appelé à Lausanne pour combattre le méthodisme viesleyen, il y réussit à merveille, mais dépassa le but. Le ministre Olivier ne tarda pas à se joindre, lui et son troupeau, à M. Darby, qui passa pendant quelque temps pour une sorte d’apôtre ou de réformateur du premier mérite. Mais bientôt son interprétation hardie, ou plutôt bizarre, des prophéties, dans lesquelles il prétendait lire toute l’histoire du monde, sans oublier les allusions aux petits événements du jour, ses déclamations contre l’Église, contre le clergé, contre les sacrements et les traditions du culte officiel, son goût pour la typologie allégorique et ridiculement symbolique qu’il prétendait tirer du Pentateuque, et qui lui faisait voir dans le moindre pli du vêtement des prêtres juifs ou dans la plus insignifiante corniche du temple une sublime analogie avec les plus hautes vérités de la révélation, la hardiesse avec laquelle (au ’mépris de tous les règlements disciplinaires, il se mit à donner lui-même le baptême et la cène, enfin ses innombrables publications où il aboutit à considérer comme schismatiques et quasi infidèles tous ceux qui n’adoptent pas le schibboleth du darbysme, tout cela finit par détacher de lui bon nombre de ses admirateurs, à Lausanne, à Berne, à Bâle aussi bien qu’à Paris ; et la secte, qui avait failli un moment, entre 1840 et 1850, devenir beaucoup plus qu’une secte et prendre des proportions assez grandes pour introduire la

révolution dans 1 Église, se réduisit à un petit nombre d’adeptes dont M. Darby dut réchauffer périodiquement le zèle par des brochures, des épîtres apostoliques, des visites, des conférences. Des polémiques théologi • ques fort obscures contre les wesleyens d’une part, contre les orthodoxes de l’autre, et enfin contre les rationalistes, remplirent tout le temps que laissaient à M. Darby ses voyages de propagande de Suisse en Angleterre et do France en Belgique. Ce qui mit le plus d’obstacle aux progrès du darbysme, ce fut la résistance des Églises dissidentes de Rochat, de Bridel et de Vinet, en Suisse, de la chapelle Taitbout, à Paris, des presbytériens et des sectes indépendantes en Angleterre. Aujourd’hui encore, quoique déjà fort âgé, M. Darby continue sa carrière de chef d’Eglise ou d’agitateur religieux. Tout le monde s’accorde à lui reconnaître un désintéressement véritable, des tendances sincèrement pieuses, une érudition théologique sérieuse, quoique gâtée par un mysticisme intempérant et des idées de réforme ecclésiastique où tout n’est pas à répudier. Les principaux ouvrages de M. Darby sont : l’Attente actuelle de l’Église ou Prophéties gui l’établissent ; Y Église d’après la Parole ; Quelques développements nouveaux sur les principes émis flans la brochure intitulée : Sur la formation des Églises ; Pensées sur le chapitre XI de l’épitre aux Romains et sur la responsabilité dp, l’Enlisé ; De la présence et de l’action du Saint-Esprit dans V Église ; le Ministère considéré dans sa nature, dans sa source, dans sa puissance et dans sa responsabilité ; les Types du Lévitique, concernant l’holocauste, l’offrande du gâtenM, le sacrifice de prospérité et te sacrifice pour It péché ; Notes sur l Apocalypse recueillies en 1842 ; Coup d’œil sur divers principes ecclésiastiques et examen des fondements sur lesquels on veut asseoir les institutions de l’Église de Dieu sur la terre  ;

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Sur les souffrances du Christ ; les Richesses incompréhensibles du Christ ; Vues scripturaires sur tes anciens ; l’Église et le morcellement amical ; Considérations sur le caractère du mouvement religieux du jour, et sur les vérités par lesquelles le Saint-Esprit agit pour le bien de l’Église ; l’Ame criblée ou SimonPierre ; Études sur la Parole destinée à aider le chrétien dans la lecture du saint livre ; Examen de quelques passages de ta Parole dont la portée a été mise en question dans la discussion sur les nouvelles Églises, accompagné de remarques sur certains principes avancés pour appuyer leur établissement ; Lettre sur la divine inspiration des saintes Écritures, en réponse à la lettre de démission de M. Ed. Scherer ; le Glorieux avènement et le règne personnel de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; le Second avènement du Seigneur Jésus, etc.


DARBYSME s. m. (dar-bis-me — de Darby, nom d’homme). Nom donné à une secte fondée par M. John Darby:Le darbysme est une réaction violente contre la hiérarchie ecclésiastique.

— Encycl. Cette secte, il est vrai, et on doit lui en donner acte avant tout, repousse avec une égale énergie et le nom de secte et l’appellation de darbyste; mais, à tort ou à raison, on ne peut nommer autrement que secte cette minorité détachée de l’Église ot qui s’occupe de s’organiser en dehors de tous les cadres ecclésiastiques actuels. Quant à l’épitliète de darbyste, on a essayé de la remplacer d’abord par celle de plymouthiste qui avait encore plus d’inconvénients et moins d’exactitude. Les sectateurs de M. Darby, en se

groupant librement autour de lui, ne se donnèrent que le nom de frères. Et c’est le seul qu’ils reconnaissent encore aujourd’hui -.frères de Plymouth fut leur première dérfomination quasi officielle. Quoi qu’il en soit de ce nom, nous allons tâcher d indiquer les idées les plus générales qui caractérisent ce groupe intéressant et aujourd’hui fort nombreux, quoique obscur, de chrétiens indépendants. D’abord le darbysme est une réaction violente contre ce que Darby nomme— n le hiérarchisme ecclésiastique, > primitivement sous la forme catholique et ensuite sous la forme anglicane. Plus généralement même toute organisation d’Église avec un clergé, avec des autorités telles que conseils, consistoires, synodes, etc., paraît aux darbystes un résultat de ce qu’ils appellent la double apostasie ecclésiastique et civile. Mais cette apostasie elle-même se démontre avant tout par les prophéties. C’est un des traits du darbysme, qui lui est commun pourtant avec plusieurs autres sectes analogues, de prendre pêle-mêle toutes les prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testament et d’y chercher l’histoire tout entière de l’humanité, particulièrement du xixe siècle. En prenant donc les prophéties, non comme des preuves apologétiques à l’appui du christianisme, mais comme des avertissements destinés à prémunir les fidèles contre de prochaines et terribles catastrophes, l’Eglise a d’abord apostasie en se livrant à la papauté, pvis l’État, depuis la Réforme, apostasie (sans doute parce qu’il reconnaît des principes de liberté qui t’ont dire que l’État moderne est athée). Ces deux grands événements arrivés à leur plein accomplissement, les prophéties nous annoncent le rétablissement du peuple juif dans la Palestine,

puis un dernier déchaînement du mal sous le règne passager de Satan, et enfin le millénium. Mais, en attendant, que doivent faire les fidèles ? Rompre avec Babylone, refuser toute adhésion aux formes, aux usages et aux règlements de l’Église apostate, contester la validité des prétendus ministres, quelque consacrés qu’ils soient, reconnaître enfin que, jusqu’au moment de la deuxième venue du Christ, il ne peut, il ne doit y avoir aucune Église collectivement constituée. Toute organisation ecclésiastique actuelle, soit nationale, soit dissidente, porte et portera inévitablement la malédiction divine. D’où cette conséquence fort logique : plus d’Église, plus de clergé, plus d’organisation religieuse à aucun degré. C’est vraiment l’application au domaine ecclésiastique de la célèbre anarchie de Proudhon. Aussi les réunions religieuses des darbystes (car, en dépit de toutes les malédictions annoncées, ils ont aussi des églises et un culte) reposent-elles sur ce principe, que la parole et l’esprit de Dieu appartiennent à tous, que le ministère ne doit pas être uno fonction, mais l’exercice d’un don qui est commun en quelque mesure à tous les n enfants de Dieu. » Chacun y prend la parole à son moment, quand l’inspiration du Saint-Esprit l’y pousse. Malheureusement le Saint-Esprit se fait souvent attendre, et rien de plus étrange, pour un profane, que ces longues réunions où tout à coup s’établit un silence d’autant plus long, semble-t.-il, que rien au monde ne peut faire prévoir si il finira, ni quandil finira. Enfin un frèreselèveet propose un cantique que l’assemblée entonne aussitôt, trop heureuse de couper la monotonie d’une taciturnitô prolongée. Puis, après trois, quatre, cinq versets de cantiques, nouveau silence, nouvelle anxiété : chacun se plonge dans son Nouveau Testament, ou tâche de se recueillir jusqu’à ce qu’enfin un frère, ordinairement le même, vienne reprendre la parole et se fasse bénir intérieurement par chacun des assistants, délivres du poids de l’attente muette. Enfin on célèbre la cène d’une

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façon toute fraternelle et toute démocratique, sans prêtre ni pasteur. Chacun prend le pain, nul ne s’arroge le droit de le donner aux autres. II en est de même à l’occasion pour le baptême, que, dit-on, chaque père peut administrer à ses enfants. Du reste, pour faire contre-poids à la largeur de ces principes tout égalitaires, les darbystes ont une discipline ultracalviniste qui leur permet, ou plutôt leur ordonne de mettre hors de l’Église quiconque a donné des soupçons soit sur sa conduite, soit sur sa doctrine. Ils pratiquent admirablement, quoique avec une nuance d’esprit sectaire, la charité, la bienfaisance, le secours mutuel. Ils font en général fort peu de prosélytes parmi les « mondains » et les i nationaux » (style de la secte). C’est surtout dans la dissidence qu’ils se recrutent. Ils comptent aujourd’hui dans le

monde protestant quelques milliers d’adhérents plus ou moins déclarés et constitués. En Angleterre, Plymouth, Exeter, Londres ont été successivement leurs principaux centres. M. Darby, riche et indépendant, a

fondé, dans ses innombrables voyages, une quantité considérable de petites et obscures congrégations, disséminées dans presque tous les pays de l’Europe et de l’Amérique. À Paris, les darbystes ont désagrégé les petites Églises nées du Réveil, et en sont sortis pour tenir leurs réunions rue Saint-Honoré ; puis eux — mêmes se sont divisés en deux sottssectes : preuve de vie, diront-ils sans doute. Du reste, profondément mystiques et abstrus, ils n’ont eu d’influence à Paris que sur un petit nombre d’esprits déjà préparés, par la fervente méditation de l’Apocalypse et de ses mystères, à toutes les nébuleuses révélations de M. Darby. C’est surtout en province, notamment dans les départements du Rhône,

de la Loire, de l’Ardèche, qu’ils ont formé quelques noyaux un peu persistants. En Suisse, ils ont joué relativement un plus grand rôle. Lausanne fut d’abord leur centre et la résidence du chef. Ils y échouèrent, après un succès d’engouement, grâce au zèle des dissidents d’une part et de 1 Église nationale de l’autre. On trouvera l’histoire complète et vraiment curieuse de leur mission dans le canton de Vaud, écrite par un professeur orthodoxe de Lausanne, M. Herzog (les Frères de Plymouth et J. Darby), La Belgique et la Hollande leur ont fourni quelques adhérents, surtout dans les Églises dissidentes. L’Allemagne, toute proportion gardée, a été pour eux de beaucoup la terre la moins fertile. Ils ont mieux réussi aux États-Unis, où ils ne sont, du reste, qu’une des innombrables sectes qui pullulent sur ce sol libre sans que nul songe à les troubler ni à les remarquer. Us ont même étendu leur action

jusqu’aux Indes, où ils avaient gagné quelques païens récemment convertis. Le mouvement général de la secte paraît être arrivé à son apogée et tendre plutôt désormais à diminuer. Leur action sociale est nulle, sauf dans les petits centres protestants. Le seul résultat d’ensemble qu’on puisse attribuer à la propagation du darbysme, c’est d’avoir immensément contribué à désorganiser les Églises protestantes, en leur enlevant en général leurs éléments les plus fervents et les plus piétistes. La parfaite honorabilité du chef et l’austère simplicité de la plupart des disciples leur a valu autant de respect que leurs livres, leurs brochures et leurs réunions inspirent d’ennui, pour ne rien dire de plus. Du reste, peut-être ne leur rendonsnous pas tout à fait justice, si, pour faire l’histoire d’une secte religieuse, il faut, suivant la théorie de M. Renan, en avoir fait partie et l’avoir quittée. C’est déjà quelque chose d’avoir mentionné le d&rbysme : c’est une lacune que le Grand Dictionnaire aura été, croyons-nous, le premier à combler.


DARC (Jeanne), née dans la nuit du 5 au 6 janvier 1411 à Domremy, petit village situé dans la vallée de la Meuse, entre Neufchâteau et Vaucouleurs, aux confins de la Champagne et de la Lorraine. On sait combien de controverses se sont élevées au sujet de la date exacte de la naissance, du véritable nom de famille, etc., de l’héroïne nationale. Nous croyons inutile d’entrer ici dans tous ces détails de pure érudition, dont l’intérêt n’est d’ailleurs que d’une importance secondaire. Nous nous bornerons à dire sommairement que nous allons suivre les derniers travaux et notamment la consciencieuse Histoire de Jeanne Darc, par M. Villiaumé, qui a réfuté beaucoup d’erreurs des historiens précédents.

En ce qui touche l’orthographe précise de ce grand nom, il parait établi qu’il faut l’écrire Darc, sans apostrophe ; du moins c’est ainsi qu’on l’écrivit jusqu’au XVIIe siècle. Toutes les expéditions manuscrites et les copies presque contemporaines du procès de condamnation et de celui de révision, les lettres d’anoblissement et autres pièces officielles, diverses inscriptions du temps, etc., présentent constamment la forme Darc. Un petit-neveu de Jeanne, Jean Hordal, l’écrit de même, dans son Histoire, imprimée en 1612. Edmond Richer, dans son Histoire manuscrite, ne met point non plus d’apostrophe. Enfin tous les historiens antérieurs à Mézeray ont suivi cette orthographe, à laquelle M. Vallet de Viriville a proposé de revenir (dans un savant mémoire intitulé : Nouvelles recherches sur la famille et le nom de Jeanne Darc), en dépit de l'arc qui était entré dans les armoiries de la famille. Il a été suivi par MM. Michelet, Henri Martin et plusieurs autres historiens. M. Quicherat, cependant, a restauré l’apostrophe, malgré le témoignage des pièces manuscrites qui ont servi de base à ses beaux et utiles travaux. Il a été imité par M. Wallon. Mais M. Villiaumé a de nouveau discuté la question dans son Histoire (1863), et il se prononce pour la forme que nous avons adoptée ici. Au surplus, nous ne prétendons point trancher ce débat qui a divisé tant de savants, et qui probablement donnera lieu à de nouvelles polémiques. D’ailleurs, répétons-le, c’est un de ces petits problèmes dont la solution n’a pas une importance capitale, et qui ont plus d’intérêt pour l’érudit que pour l’historien.

Jeanne appartenait à une famille agricole, mais non de condition serve, comme on l’a quelquefois écrit par une fausse interprétation du texte des lettres d’anoblissement. Cette famille avait une certaine aisance et possédait 12 ou 15 hectares de terres, une maison avec jardin, quelques chevaux et du bétail. Le père, Jacques Darc, était né à Sept-Fonds, en Champagne ; la mère, Isabelle Romée, à Vouthon, en Barrois, d’une famille ancienne et peut-être noble, suivant quelques conjectures. Son nom de Romée venait de ce que ses parents avait fait le pèlerinage de Rome. Ils eurent cinq enfants, trois fils et deux filles. Jeanne fut le troisième de ces enfants. La maison où elle naquit, située entre la Meuse et un coteau couronné d’une forêt de chênes, existe encore, mais non pas identiquement la même, car Louis XI — ce royal ancêtre de 89, qui devait se connaître en individualités vraiment nationales — la fit reconstruire en employant une partie des matériaux. Cette enfant, qu’attendait une destinée si extraordinaire, n’apprit ni à lire ni à écrire, chose commune alors, même dans les conditions plus élevées. Ce fut sa mère qui lui donna l’éducation religieuse. « Elle reçut sa religion non comme une leçon, une cérémonie, mais dans la forme populaire et naïve d’une belle histoire de veillée, comme la foi simple d’une mère… Ce que nous recevons ainsi avec le sang et le lait, c’est chose vivante et la vie même. » (Michelet.) On a raconté que sa mère, enceinte d’elle, avait rêvé qu’elle accouchait de la foudre ; qu’au moment de sa naissance tous les habitants du village, saisis d’un transport inconnu, s’étaient mis à chanter et danser pendant deux heures ; que les oiseaux obéissaient à sa voix dans les prairies de la Meuse, etc. : poétiques traditions qui ne manquent jamais à l’histoire des grandes individualités.

Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à tous les détails semi-romanesques qui se rapportent à l’enfance de l’héroïne, il est cependant nécessaire de rappeler que tous les témoignages nous la montrent possédée, pour ainsi dire dès le berceau, d’une sorte d’exaltation religieuse. En outre, elle grandit parmi les légendes celtiques, vivaces encore en ce pays, et nourrie des traditions naïves sur les fontaines et les arbres miraculeux, les fées, les apparitions, etc. Ces rêveries populaires, les mythes chrétiens, la vie des saints et des martyrs, composèrent toute son éducation. C’était, sous ce rapport, une vraie fille des champs. Quant à savoir par quels degrés elle en arriva à cette sorte d’extase qui, d’après ceux qui ont foi en la légende, lui fit croire qu’elle avait reçu de Dieu une mission, nous l’expliquerons sans recourir à l’inspiration divine. La grandeur de Jeanne Darc est avant tout du domaine de l’histoire, et l’histoire ne vit que de vérités humaines. Et si le romanesque, le poétique, le sublime se combinent avec le réel dans la vie de la noble fille ; si elle touche, par l’impression qu’elle cause, la sympathie qu’elle excite, la lumière qui rayonne d’elle, aux limites extrêmes de l’histoire, elle lui appartient cependant de la manière la plus intime.

Ce système suranné, qui consiste à voir dans Jeanne une envoyée de Dieu et à prendre au sérieux ses visions, ses voix, du moins à les considérer comme des réalités historiques, à dogmatiser sur sa mission, à expliquer enfin sa vie par le miracle et le surnaturel, ce système qui tient de l’hagiographie et de la mythologie plus que de l’histoire, compte encore de nombreux et sincères partisans ; mais il est permis de penses qu’il ne saurait arrêter les regards de la science et de la critique.

En quoi consistaient exactement les phénomènes intuitifs des visions et des voix ? C’est une question qu’on est amené à poser à propos de tous les extatiques et de tous les visionnaires, et que nécessairement on résout dans un sens ou dans un autre, suivant qu’on se rattache au rationalisme ou aux théories empreintes de mystagogie. Nous ne pouvons pas, dans une biographie pure, qui est tout entière à la narration, nous ne pouvons pas, on le conçoit, nous engager dans d’interminables discussions dont on a déjà rempli des volumes, et qui, à dire vrai, nous semblent un peu vaines. Sans prétendre imposer notre opinion, nous nous bornerons à dire que nos idées philosophiques ne nous permettent pas d’admettre le surnaturel, et que c’est uniquement au point de vue humain, naturel, que nous envisageons l’histoire de Jeanne Darc.

Est-il nécessaire de rappeler que, pendant la durée entière du moyen âge, la foi, le merveilleux, le miracle ont tenu la place de la science ; pendant toute cette période, une suite non interrompue de voyants se sont posés,