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souvent de très-bonne foi, comme intermédiaires entre Dieu et l’humanité. C’est là un fait commun à toutes les civilisations, et qui se produit encore aujourd’hui dans un grand nombre de contrées.

Une chose curieuse, c’est que Jeanne Darc elle-même a eu des précurseurs, comme elle eut, de son vivant et après sa mort, des émules et des imitateurs : C’était d’ailleurs une croyance très-répandue dans toutes les provinces de France que le royaume devait être sauvé par une pucelle, et plus d’une femme s’essaya obscurément à ce rôle. C’est ainsi qu’au temps des croisades on avait été jusque compter sur les enfants pour reprendre le saint sépulcre. Dans le moment même où Jeanne accomplissait son œuvre, on voit apparaître plusieurs de ces amazones chrétiennes, entre autres une certaine Catherine de la Rochelle, rivale de la vierge de Domremy, inspirée comme elle et qui avait le même confesseur, le frère Richard. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ce religieux était à la fois le père spirituel de quatre femmes aspirant au même rôle. Une d’elles, Pierrone de Bretagne, après avoir suivi Jeanne, fut prise à Corbeil par les Anglo-Bourguignons, amenée à Paris, jugée en cour d’Église et brûlée. Plus tard, il surgit aussi de fausses pucelles, qui se donnaient pour la malheureuse Jeanne, échappée au supplice de Rouen ou ressuscitée. Une de ces vaillantes aventurières, nommée Claude, apparut en 1436, se faisant appeler Jeanne du Lis, la pucelle de France. Elle montait à cheval, portait l’épée et courait un peu partout, multipliant le nombre de ses partisans et de ses dupes. Elle eut beaucoup d’aventures, épousa un noble lorrain, Robert d’Armoise, et en eut deux fils, puis s’en sépara, alla guerroyer en Italie comme soudoyer du pape Eugène IV, figura comme n capitaine de gens d’armes s dans la guerre civile qui éclata en Poitou, en 1439, et qui fut le prélude de la Praguerie ; prit, dit-on, le Mans, fut accueillie la même année avec de grands honneurs à Orléans, où vivait cependant alors la mère de la vraie Pucelle, pensionnée par la ville et qui aurait pu la démasquer. On trouvera le détail de ces faits curieux dans un travail de M. Vallet de Viriville, publié dans la Revue moderne du 1er mars 1857, sous le titre de : Jeanne Darc, ses visions, ses précurseurs, ses émules.

Certes, en indiquant sommairement ces singularités historiques, nous n’avons nullement le désir insensé de diminuer la gloire réelle de Jeanne, mais simplement de montrer qu’elle ne fut pas hors de toute analogie, de toute tradition et de tout antécédent.

Jusqu’à l’âge de treize ans, elle grandit occupée aux travaux rustiques, aux soins de la maison, peut-être à la garde des troupeaux de son père, ou du moins les accompagnant dans la prairie. Elle jeûnait, se confessait et communiait souvent, allait soigner les malades, et consacrait aux exercices religieux tout le temps qui n’était pas absorbé par les soins domestiques. Il paraît aussi qu’elle était mélancolique et rêveuse, aimant la solitude, le son des cloches, dormant peu, pleurant quelquefois sans cause, et, avec ces prédispositions, manifestant une grande force de vie exaltée et concentrée. Elle atteignit la puberté, et l’on dit qu’elle ne connut jamais les incommodités périodiques de son sexe ; mais cette anomalie physique n’altéra ni sa santé ni son développement. À treize ans, elle eut sa première vision : un jour de jeûne, en été, dans le jardin de son père, elle crut voir une lumière et entendre une voix, qu’elle prit d’abord pour celle de Dieu ; plus tard elle demeura, convaincue que c’était celle de saint Michel, l’archange des jugements et des batailles, très-populaire en France à cette époque de la guerre contre les Anglais.

Désormais elle vécut en pleine extase ; ses visions et ses apparitions se multiplièrent ; les anges, sainte Catherine et sainte Marguerite, ces patronnes de la jeunesse, se montraient à elle périodiquement. Enfin, après une série de visions dont le récit n’aurait que peu d’intérêt, saint-Michel lui commanda d’aller trouver M. de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, afin d’être par lui adressée au roi de France, qu’elle était destinée à mettre en possession de tout son royaume. Elle lutta longtemps contre ses propres visions, de plus en plus envahie par la fièvre de l’héroïsme et par la conviction qu’elle était cette pucelle que la tradition populaire désignait comme devant sauver le royaume du joug des Anglais et des factions.

En ces pays de frontières, on ressentait si fréquemment le contre-coup des guerres, que nulle part le simple laboureur ne s’inquiétait davantage des affaires du pays. La marche de Lorraine et de Champagne avait cruellement souffert des guerres civiles entre Armagnacs et Bourguignons, ainsi que des luttes féodales. On sait quelle était la situation de la France à ce terrible moment ; Jeanne avait grandi au milieu des alarmes, bercée par le vague et effrayant récit des calamités nationales ; et, dans le temps même où elle hésitait encore, elle avait dû s’enfuir avec sa famille et tous les habitants du village, qui fut dévasté par des bandes armées. Au retour, en voyant les ruines, elle prit sa résolution définitive et se mit en devoir d’obéir a ses voix.

Elle eut alors une autre lutte à soutenir, au sein de sa famille, et ce fut sans doute là son plus grand combat. On voulut la marier, dans l’espoir de la ramener aux idées qui semblaient plus raisonnables. Mais malgré ses douleurs à la pensée de quitter ses parents et son foyer, elle résista aux ordres comme aux prières, et finit par convertir à ses idées un de ses oncles, qu’elle envoya auprès du sire de Baudricourt. L’homme de guerre reçut assez mal le paysan et lui donna rudement le conseil de bien souffleter sa nièce. Jeanne persista et enfin quitta elle-même son village, entraînant son oncle à Vaucouleurs ; elle se présenta hardiment devant Baudricourt, et lui annonça qu’elle était envoyée par Dieu pour délivrer le royaume des Anglais, faire sacrer le dauphin et le mettre en possession du trône. Raillée, congédiée, elle ne se découragea point, continua ses sollicitations, gagna à sa cause plusieurs gentilshommes, et enfin finit par vaincre la résistance de Baudricourt, qui s’était décidé, dit-on, à consulter Charles VII. La renommée de la sainteté de la jeune fille et des révélations que lui faisaient les saints s’était déjà répandue dans tout le pays, et le peuple, qui n’attendait plus le salut que d’un miracle, commençait à s’enthousiasmer pour Jeanne, et reconnaissait en elle la vierge libératrice promise par les vieilles légendes. L’investissement d’Orléans, le revers de la journée des Harengs avaient sans doute décidé la petite cour de Chinon à ne négliger aucun moyen de relever les courages abattus.

Jeanne partit, équipée par les habitants de Vaucouleurs, à cheval, en costume d’homme, escortée de son frère Pierre et de quelques compagnons. M. Villiaumé indique le 24 février 1429 comme la date de son départ ; ailleurs on trouve le 13. Jeanne avait alors dix-huit ans.

C’était un voyage bien périlleux en cette rude saison, à travers 150 lieues d’un pays infesté de bandes ennemies, et sans autre force que cinq ou six hommes d’armes. Mais la noble fille marchait sans crainte comme sans hésitation, avec une sérénité héroïque. « C’est pour cette entreprise que je suis née, disait-elle ; Dieu, qui me conduit, me fera le chemin libre jusqu’au dauphin. »

Ce voyage extraordinaire, qui était déjà comme une première épreuve, s’accomplit sans aucun accident en onze jours. La petite troupe arriva à Chinon le 6 mars. Charles VII, après deux jours d’hésitation, consentit à donner audience à Jeanne, qui se présenta avec une dignité sans embarras, alla droit au roi, et mettant un genou en terre : « Gentil dauphin (elle l’appelait ainsi parce qu’il n’était pas sacré), le roy du ciel m’a envoyée pour vous secourir, s’il vous plaît me donner gens de guerre. Par grâce divine et force d’armes, je ferai lever le siège d’Orléans et vous mènerai sacrer à Reims… » Puis, Charles l’ayant prise à part, elle lui dit secrètement : « Je te dis de la part de Messire (Dieu) que tu es fils de roy et vray héritier de France. » On sait que lui-même avait des doutes sur la légitimité de sa naissance. Cette affirmation le frappa fort et le disposa tout à fait favorablement.

On emmena Jeanne à Poitiers, où le roi nomma une commission composée de théologiens et de magistrats pour l’interroger. Enveloppée de questions captieuses par ces savants personnages, elle répondit avec une présence d’esprit extraordinaire, et, après plus de quinze jours d’examen, les doctes juges, subjugués, malgré leurs préventions, furent d’avis que l’on pouvait licitement employer la jeune fille, Dieu ayant souvent suscité des vierges, etc. Mais il fallait s’assurer auparavant si elle était réellement vierge (on croyait alors que le démon ne pouvait contracter de pacte avec une vierge).

Quelques matrones, en présence de la reine, s’acquittèrent du ridicule examen, qui se termina à l’honneur de Jeanne. Proclamée officiellement pucelle, elle fut ramenée à Chinon, vers le 15 avril, et le roi décida qu’elle serait mise à la tête d’une troupe armée et envoyée à Orléans.

Il est présumable que quelques politiques ne croyaient que médiocrement à l’inspiration divine, ni même au génie de l’héroïne, mais qu’ils jugeaient utile, en l’état désespéré des affaires, de frapper les imaginations, et ce fut en effet ce qui arriva.

Jeanne Darc était déjà populaire dans toute la France avant d’avoir agi ; c’était Dieu lui-même qui allait combattre ; les Anglais (qui eux la croyaient sorcière) étaient sous l’empire d’une vague terreur, et les Orléanais attendaient avec anxiété l’arrivée du grand secours.

On forma une sorte de maison à la Pucelle ; on lui donna un écuyer, un page, deux hérauts d’armes, un aumônier, deux valets, son frère Pierre, etc. Elle eut une riche armure blanche, un étendard blanc fleurdelisé, sur lequel était peint Dieu et des anges en adoration, avec la devise Jhesus Maria. Elle le portait le plus souvent elle-même et le préférait à son épée, parce qu’elle ne voulait tuer, et ne tua en effet jamais personne.

Tous ces préparatifs terminés, Jeanne partit de Tours le 25 avril à la tête de l’armée, qui se composait de 4 à 5,000 hommes, en même temps qu’elle envoyait au camp des Anglais une sommation dictée par elle, pour qu’ils eussent à lever le siége d’Orléans, et remettre à la Pucelle les clefs des villes qu’ils avaient prises.

Le 29 avril, l’armée arriva près d’Orléans. À ce moment, les Anglais étaient bien affaiblis par ce long siége d’hiver ; leurs auxiliaires, les Bourguignons, les avaient quittés, et l’on évalue qu’ils n’étaient alors guère plus de 8,000 hommes, répartis dans une douzaine de bastilles ou boulevards qui, pour la plupart, ne communiquaient pas entre eux ; disposition tout à fait vicieuse qui pouvait, à un moment donné, faire investir les assiégeants par les assiégés.

D’un autre côté, La Hire, Xaintrailles, Armagnac, Dunois, Gaucourt et autres capitaines fameux s’étaient jetés dans la ville et la défendaient vaillamment. La prise d’Orléans par les Anglais constituait un grand fait militaire ; car une fois cette ville prise, les ennemis se répandaient librement dans le Blaisois, la Touraine et le Poitou. En outre, les forces renfermées dans la ville manquaient d’une condition indispensable, l’unité d’action. D’un autre côté, les Anglais attendaient des renforts. Comme on le voit, la position était des plus périlleuses.

Jeanne Darc, avec le convoi de vivres et 200 chevaux, traversa la Loire sur une flottille conduite par Dunois, pendant que les Orléanais faisaient diversion par une vaillante sortie, et entra dans la ville à huit heures du soir, à la lueur des torches, à cheval, revêtue de son armure et entourée de capitaines et de seigneurs. Le peuple l’accueillit avec enthousiasme et vénération, et la contemplait comme s’il eût vu Dieu. L’effet moral fut immense, et c’était en ce moment de désespoir universel ce qu’il y avait de plus urgent et de plus utile.

Elle eût voulu qu’on attaquât dès le lendemain les bastilles anglaises ; mais l’armée qu’elle avait amenée ayant dû redescendre pour passer en sûreté la Loire à Blois, il fut décidé qu’on attendrait son retour. Le 2 mai, elle alla hors de la ville examiner les positions de l’ennemi, qui ne tenta pas de troubler cette audacieuse reconnaissance. Une partie du peuple l’avait suivie, ivre d’enthousiasme et de confiance. Deux jours plus tard, la petite armée entra à son tour dans la ville sans avoir eu à combattre. Cependant les capitaines, dédaigneux ou jaloux, paraissaient vouloir agir sans trop consulter la sainte qu’ils avaient pour généralissime. Elle reposait un moment chez la femme et les filles du trésorier, où elle s’était installée, lorsqu’elle entendit le bruit d’un combat. Elle se leva précipitamment et se fit armer : « Méchant garçon, dit-elle à son page, vous ne me disiez pas que le sang de France feust répandu ! » Elle franchit les fortifications, ranima par sa présence les nôtres, qui commençaient à fuir, et Dunois ayant amené un renfort de 1,500 hommes, l’action recommença et l’une des bastilles anglaises fut emportée. C’était la première victoire de Jeanne. Les jours suivants, il y eut d’autres combats où elle prit part, obligée le plus souvent de lutter de finesse avec les chefs français, qui probablement voulaient lui enlever l’honneur du succès, et qui peut-être se sentaient embarrassés d’exécuter des plans de guerre qui venaient du ciel, car c’était toujours d’après ses voix que Jeanne se déterminait. Sans entrer dans le détail des opérations, difficiles à juger à la distance où nous sommes, il est certain que la tactique de Jeanne ne pouvait être justifiée que par le succès, bien qu’il ne serait peut-être pas difficile de démontrer que, chez la Pucelle, le génie militaire était développé au plus haut degré. Les Anglais s’étaient concentrés dans les deux bastilles du nord ; l’une des deux fut encore emportée. À l’attaque de la dernière, nommée les Tourelles, Jeanne, au moment où elle appliquait une échelle contre la muraille, au plus fort du combat, fut atteinte par un trait d’arbalète qui pénétra entre le col et l’épaule et traversa de l’autre côté, puis précipitée au fond du fossé. On l’emporta ; éloignée du combat, placée sur l’herbe, elle eut un moment de défaillance en voyant son sang et sa blessure ; mais elle se sentit bientôt réconfortée ; elle put ranimer ses gens, que cet événement avait découragés, les exciter à l’assaut, et remonter à cheval. La bastille fut enlevée.

Au moment où elle était tombée, des soldats anglais, descendant en toute hâte dans le fossé, avaient tenté de s’emparer d’elle. Mais un capitaine français, écartant les assaillants à coups de hache, la sauva et l’aida à remonter sur l’autre bord. (Voir plus loin cet épisode.)

Il ne restait pas un Anglais au midi de la Loire. Ceux du nord, qui étaient restés dans une inaction inconcevable pendant ces journées, abandonnèrent le lendemain leurs positions et firent leur retraite en bon ordre.

La délivrance d’Orléans par une femme, une sainte, dans l’opinion populaire, eut un effet moral immense ; et pendant que les Anglais l’attribuaient au diable, toute la France y voulait voir l’intervention de Dieu : Une procession solennelle parcourut la ville et les remparts, et l’anniversaire de la levée du grand siége (8 mai) est resté jusqu’à nos jours une fête pour les Orléanais.

Malgré sa blessure, Jeanne continua à s’occuper activement des grandes affaires du salut national. Elle voulait entraîner sur-le-champ Charles VII à Reims pour le faire sacrer ; elle pensait qu’il fallait devancer les Anglais, qui avaient commis la faute de ne point sacrer encore leur jeune Henri VI. Le premier sacré devait rester le vrai roi de France. Cette cérémonie avait en effet, dans l’opinion populaire, un prestige religieux et quasi divin. Mais les politiques et les hommes de guerre voulaient qu’on allât plus lentement et plus sûrement, et qu’auparavant on débarrassât au moins le cours de la Loire des garnisons anglaises. On rassembla de nouvelles forces, et dans les premiers jours de juin on alla assiéger et prendre Jargeau, puis Beaugency. Jeanne assistait à ces expéditions (dont elle avait fait donner le commandement au duc d’Alençon), ainsi qu’à la brillante et décisive victoire de Patay (29 juin), à la suite de laquelle la marche sur Reims fut enfin décidée. À ce moment, l’enthousiasme pour la Pucelle était devenu un culte national ; des chevaliers, des gens de guerre quittaient leurs blasons pour se faire faire des étendards pareils au sien ; on l’adora, dans le sens rigoureux du mot et suivant les rites du culte en vigueur ; on plaça son image sur les autels, on rédigea des offices en son honneur, on porta au cou, en guise d’amulettes, des médailles à son effigie, etc.

Le voyage de Reims fut, comme on le sait, un événement considérable dans la vie de Charles VII, et comme une prise de possession de la royauté. L’armée se rassembla à Gien, et, le 28 juin, Jeanne ouvrit avec l’avant-garde cette marche aventureuse à travers 60 lieues de pays occupé par l’ennemi. Il y avait quatre mois à peine qu’elle était entrée, obscure et dédaignée, dans cette même ville de Gien ; et, dans ce court espace de temps, elle avait inauguré une ère nouvelle pour la France, elle avait modifié la face d’un empire.

On arriva devant Auxerre, qui demanda et obtint de garder la neutralité. Mais Troyes, bien fortifiée et munie, défendue par une garnison de Bourguignons et d’Anglais, arrêta l’armée royale sous ses murs. Après un combat fort vif devant la ville, le conseil délibéra si l’on passerait outre ou si l’on rétrograderait, vu l’absence de vivres et d’artillerie. La Pucelle insista pour l’attaque, assurant que sous trois jours, et même le lendemain, on entrerait dans la place. Les chefs militaires, malgré la prudence et les règles, durent céder aux exigences de l’idole populaire, qui, par son enthousiasme même, suscitait l’enthousiasme et assurait le succès.

Contre toute attente Troyes fut en effet emportée le lendemain (9 juillet). Suivant sa coutume, Jeanne avait donné l’exemple en entraînant les troupes à l’assaut. Les assiégés, terrifiés, se rendirent, et la garnison obtint de se retirer les biens saufs. Parmi les biens se trouvaient des prisonniers français, que Jeanne fit délivrer moyennant une faible rançon.

À Châlons, tout le peuple vint au-devant de la Pucelle. Le 16, l’armée entrait sans coup férir à Reims. Ce voyage, d’une réussite improbable, n’avait été pour ainsi dire qu’une marche triomphale.

Charles VII fut sacré à la cathédrale, le lendemain 17, suivant les rites accoutumés. Tous les yeux étaient fixés moins sur les hauts personnages assistant à cette cérémonie que sur Jeanne Darc, debout près de l’autel, son étendard à la main. Nul autre chef de guerre n’avait été admis à apporter le sien.

Charles, sacré, se trouvait dès lors le vrai roi dans les croyances du temps ; et c’est bien ce qu’avait compris la Pucelle, en qui s’incarnait avec tant d’énergie le sentiment populaire. Dès lors l’expédition ne sembla plus être qu’une prise de possession, un triomphe paisible, une continuation de la fête de Reims. Les villes s’ouvraient d’elles-mêmes ; Soissons, Laon, Provins, Coulommiers, Château-Thierry, Compiègne se rallièrent à la cause royale. Beauvais chassa son évêque parce qu’il était dévoué aux Anglais : c’était ce Pierre Cauchon auquel le procès de Jeanne a donné une si triste célébrité.

Le régent anglais Bedford, auquel le cardinal Winchester venait d’amener un secours, tenait toujours Paris, soutenu par le vieux parti bourguignon. Après quelques escarmouches entre les deux armées, Charles VII prit possession de Saint-Denis le 25 août, et vint attaquer Paris, où il échoua. Dans cette tentative, la Pucelle, qui s’était avancée jusque dans les fossés pour tenter l’assaut, eut la cuisse traversée d’un trait d’arbalète (8 septembre). On l’emporta malgré elle, fort découragée et un peu atteinte dans le prestige qu’elle exerçait, bien que cet échec : ne pût lui être imputé. D’ailleurs, il semble qu’elle considérait elle-même sa mission comme terminée après le sacre ; par deux fois, elle voulut se retirer chez elle. Son rôle aussi devenait difficile à soutenir parmi ce qu’on nomme si justement les hasards de la guerre. L’enthousiasme populaire ne lui demandait rien moins que l’infaillibilité dans le succès, et même des miracles : à Lagny, on la supplia de ressusciter un enfant ; des femmes accouraient au-devant d’elle pour la prier de toucher des croix et des chapelets, etc. Elle-même avait dit : « Je ne durerai qu’un an ; il me faut l’employer. »

Après l’attaque manquée de Paris, il fut décidé en conseil qu’on se retirerait sur la Loire, l’argent manquant tout à fait pour tenir plus longtemps l’armée sur pied. Toutefois, on laissa des garnisons dans les principales villes recouvrées.

En novembre, la Pucelle fit le siége de