Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 6, part. 1, D-Deli.djvu/112

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Saint-Pierre-le-Moutier, qu’elle emporta d’assaut, malgré la fuite d’une grande partie des siens. Puis elle alla assiéger la Charité ; après quarante jours d’attaques meurtrières, la dispersion de ses troupes l’obligea de se retirer. Pendant qu’elle était occupée à ce siége, le roi lui envoya des lettres d’anoblissement pour elle, pour sa famille et toute leur postérité. Ses deux frères changèrent leur nom en celui de du Lis à cause des fleurs de lis d’or qui leur avaient été accordées pour leurs armoiries.

Jeanne fit ensuite, du côté de Melun et ailleurs, quelques petites expéditions sur lesquelles on n’a pas de renseignements bien certains ; puis elle accourut à Compiègne, pour défendre cette place contre les Anglo-Bourguignons, qui assiégeaient une forteresse voisine, Choisy-sur-Aisne, bientôt tombée entre leurs mains par capitulation. Ce succès leur permit de venir assiéger Compiègne. Après plusieurs affaires sanglantes, Jeanne fut faite prisonnière (peut-être par trahison) dans une sortie, et tomba entre les mains d’un homme d’armes, de Jean de Luxembourg, qui la fit conduire au poste bourguignon de Margny, puis à Clairoy (23 mai 1430).

La grande nouvelle se répandit dans toute le France avec la rapidité de l’éclair. Les Anglais en témoignèrent une joie délirante. À Paris, on fit des réjouissances publiques, le clergé chanta un Te Deum solennel, et des nuées de prédicateurs firent retentir les chaires de calomnies et d’insultes grossières contre l’héroïne nationale. Mais ailleurs, et surtout, dans les villes de la Loire, la consternation fut inexprimable ; à Orléans, à Tours, à Blois, on ordonna des prières publiques et des processions pour sa délivrance.

Les Bourguignons, qui ne partageaient pas la haine féroce dès Anglais, la traitèrent d’abord convenablement. Jean de Ligny (de Luxembourg) l’envoya à la tour de Beaulieu, puis au château de Beaurevoir, près de Cambrai, où sa femme et sa tante eurent pour la captive tous les égards dus à son malheur et à sa vertu.

Cependant, dès le 26 mai, le frère Martin, vicaire général de l’inquisiteur de la foi au royaume de France, requit le duc de Bourgogne de lui livrer la Pucelle, « soupçonnée véhémentement de plusieurs crimes sentant l’hérésie. » Le clergé, vendu aux Anglais, commençait son œuvre. Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, prétendait que Jeanne ayant été prise en son diocèse, le jugement lui en appartenait, conjointement avec l’inquisiteur. L’Université de Paris (entièrement cléricale) appuya cette requête ; les Anglais, de leur côté, pressaient, menaçaient, mettaient tout le clergé en campagne. Il leur fallait le jugement de Jeanne comme sorcière, car si ses victoires restaient des œuvres de Dieu, leur cause alors devenait celle du démon, dans l’opinion du peuple.

Luxembourg finit par la livrer, moyennant 10, 000 francs d’or, non d’abord aux Anglais, mais à son suzerain Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui la fit transférer à Arras, puis au donjon de Crotoy, et enfin la remit entre les mains des Anglais, vers la fin de novembre 1430 :

Conduite à Rouen, l’arsenal de la puissance anglaise (25 décembre), l’héroïque Pucelle fut enfermée dans la grosse tour du château, dans une cage de fer et enchaînée. Sa captivité, dès ce moment, se changea en Passion. Confiée à la garde de soldats anglais choisis dans un corps composé de bandits qu’on nommait houspilleurs, elle eut à souffrir toutes les insultes, les mauvais traitements, et même des tentatives de viol. La sanglante comédie du procès commença et se poursuivit avec une cruelle lenteur, suivant les formes de l’inquisition. C’était Cauchon qui instrumentait, assisté du vicaire de l’inquisition, de son chanoine, Jean d’Estivet, et d’assesseurs choisis par lui (dont le nombre fut porté jusqu’à quatre-vingt-quinze dès que commencèrent les séances publiques). Ces assesseurs, parmi lesquels étaient Gilles, abbé de Fécamp, Nicolas, abbé de Jumièges, des docteurs de l’Université de Paris, etc., reçurent d’énormes gratifications, et Cauchon lui-même, outre la promesse de l’archevêché de Rouen, fut comblé d’or par les Anglais.

Les séances de la commission s’étaient ouvertes le 9 janvier. Le 21 février, la Pucelle fut amenée devant ses juges et les interrogatoires commencèrent. Il serait assez indifférent aujourd’hui de rechercher et de signaler, dans ce mémorable procès, toutes les violations des formes légales (même en prenant pour base le droit inquisitorial). On sait que ce fut simplement un assassinat juridique, et cela suffit amplement à la postérité pour juger les juges. Sans entrer dans les détails de cette énorme procédure, où furent déployées contre la sublime ignorante toutes les ressources de la dialectique byzantine, ecclésiastique et pharisaïque, nous rapporterons quelques-unes des plus remarquables réponses de l’accusée, qui montra autant de grandeur que de simplicité naïve, avec un mélange de finesse et de bon sens auquel ses juges ne s’attendaient sans doute pas. La plupart des questions qui lui étaient posées n’étaient, on le conçoit, que des piéges dans lesquels on comptait bien faire tomber cette simple fille des champs.

Elle débuta par offrir à Cauchon de l’entendre en confession, adroite et touchante demande ; son ennemi, son bourreau serait ainsi devenu son père spirituel, le témoin de son innocence. Il refusa.

Parmi beaucoup de naïvetés, elle disait des choses sublimes :

« Je viens de par Dieu ; je n’ai que faire ici ; renvoyez-moi à Dieu, dont je suis venue….. »

« Vous dites que vous êtes mon juge ; avisez bien à ce que vous ferez, car vraiment je suis envoyée de Dieu ; vous vous mettez en grand danger. »

Interrogée sur ce qu’elle savait de sa religion, elle répondit avec une prudence intelligente :

« J’ai appris de ma mère Pater noster, Ave Maria, Credo : elle seule m’a instruite en ma croyance. »

Cela coupait court à toutes les subtilités des théologiens.

Sur la question délicate des apparitions et des voix, elle répondit avec simplicité ce qu’elle croyait être la vérité ; elle dit qu’en effet elle avait des visions, qu’elle entendait des voix, etc., mais en évitant de s’embarrasser dans les détails où on voulait l’engager. Une autre fois qu’elle était pressée de demandes insidieuses :

« Vous voulez que je parle contre moi-même ! »

« — Était-il bien d’avoir attaqué Paris le jour de la Nativité de Notre-Dame ?

« — C’est bien fait de garder les fêtes de Notre-Dame ; ce serait bien de les garder tous les jours. »

« — Sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent-elles les Anglais ?

« — Elles aiment ce que Notre Seigneur aime, et haïssent ce qu’il hait. »

On alla jusqu’à lui demander si réellement elle était vierge et on la fit de nouveau visiter. Rien n’embarrassait les juges ; ils s’efforcèrent ensuite d’établir qu’elle avait voué sa virginité non à Dieu, mais au diable.

La malheureuse fille tomba malade dans sa prison, et il y eut quelque soupçon qu’on avait tenté de l’empoisonner. Cependant elle ne faiblit pas. Menacée de la torture, elle refusa de répondre autrement qu’elle ne l’avait fait.

Cependant, les lenteurs du procès impatientaient les Anglais, qui menaçaient les juges et Cauchon lui-même. Enfin, après une infinité de manœuvres dont le détail ne peut trouver place ici, l’infâme procédure se termina par un arrêt de condamnation, qui déclarait Jeanne devineresse, blasphématrice, hérétique obstinée, etc., et la livrait à la justice séculière.

Toutefois on ne pouvait la livrer à la mort que si elle se mettait en état de rechute, si elle devenait relapse, c’est-à-dire si, après avoir abjuré ses prétendues erreurs, elle retombait dans l’une d’elles. On lui fit signer d’une croix, à force d’insistances, une espèce de rétractation fort courte, dont on développa ensuite les termes, de manière qu’elle ne pouvait manquer de retomber. Parmi les chefs d’accusation, il y avait celui d’avoir revêtu des habits d’homme. Dès ce moment elle dut les quitter. Mais on les laissa à sa portée. Gardée par des hommes, menacée à chaque instant de violence, elle reprit ces vêtements protecteurs. Dès lors elle était rechue ou relapse ; elle était perdue.

Il paraît certain que l’infortunée espéra jusqu’à la fin qu’elle serait délivrée soit par le roi, soit par un mouvement populaire. Mais ni Charles VII ni personne ne tenta rien pour sauver celle qui venait de sauver la France, au moins de préparer sa délivrance du joug étranger.

Le 30 mai 1431, Jeanne fut conduite au supplice et brûlée vive. Elle avait un moment faibli, mais elle se releva presque aussitôt. Le dernier mot qu’elle prononça dans les flammes fut celui de Jésus.

Les Anglais, malgré la férocité de la haine qui les animait, furent au dernier moment touchés de l’héroïsme et des souffrances de la noble victime. Un secrétaire du roi d’Angleterre s’écria après le supplice : « Nous sommes perdus ! nous avons brûlé une sainte ! »

En montant sur le bûcher, Jeanne avait dit à Cauchon une parole qui le marquait d’infamie pour les siècles : « Évêque, je meurs par vous ! »

La mémoire de l’héroïne fut réhabilitée en 1456, après un long procès en révision.

Voltaire, dans le badinage qu’on cite presque toujours sans le comprendre, n’a pas eu l’intention réelle de déshonorer Jeanne Darc, à laquelle il rend un hommage mérité dans ses ouvrages sérieux.

« Cette héroïne, dit-il, fit à ses juges une réponse digne d’une mémoire éternelle….. Ils firent mourir par le feu celle qui, pour avoir sauvé son roi, aurait eu des autels dans les temps héroïques où les hommes en élevaient à leurs libérateurs. » (Essai sur les mœurs.)

Du reste, les badinages de Voltaire, pas plus que les attaques sérieuses de certains historiens, n’ont pu dépopulariser en France cette figure si nationale de Jeanne Darc. On en est venu peut-être à ne plus croire à ses révélations, mais on reconnaîtra toujours les services qu’elle a rendus à la patrie. En tout cas, qui ne serait saisi et ému par cet admirable mélange d’innocence et de bravoure, que Mlle de Gournay exprimait déjà dans un quatrain destiné à figurer au bas d’une statue de l’héroïne ? La tournure en est si moderne qu’elle pourrait inspirer quelque doute sur son authenticité ; mais le sentiment en est si vrai, qu’il doit trouver ici sa place, quel que puisse en être l’auteur :

Comment concilier, vierge du ciel chérie,
La douceur de tes yeux et ce glaive irrité ?
— La douceur de mes yeux caresse ma patrie,
Et le glaive en fureur défend sa liberté.

Jeanne Darc joue une si grande figure dans notre histoire nationale, qu’après avoir raconté sa vie tout d’un trait, selon les impressions personnelles qu’a fait naître en nous l’étude attentive des documents, nous croyons utile de reprendre en détail quelques-uns des problèmes historiques qui se rattachent à la personne de Jeanne, et de traiter chacun d’eux avec plus de détails. Nous allons donc successivement discuter les cinq points suivants : 1° Jeanne Darc eut-elle réellement des visions ? 2° Son mobile le plus certain ne prit-il pas sa source dans les mouvements d’un patriotisme exalté ? 3° Quels furent les vrais sentiments du roi Charles VII à son égard ? 4° Quelle a été, dans tous les temps, la vraie pensée du clergé sur Jeanne Darc ? 5° Quels sont les renseignements que l’on a sur plusieurs personnages qui voulurent continuer son rôle après elle ?

— I. Jusqu’à quelle limite la critique doit-elle admettre les visions, les révélations de Jeanne, et la confiance qu’elle-même et ses contemporains avaient en elles ? On n’a, pour vérifier ces révélations, que des données incertaines, les premiers historiens, dans un but religieux, n’ayant guère accueilli des prédictions de l’héroïque guerrière que celles qui se sont accomplies. En acceptant leurs témoignages, on serait conduit a conclure que Jeanne avait le don de prescience. Mais on a encore une autre source de renseignements : les réponses de Jeanne aux interrogatoires. En rassemblant tout ce qui a rapport à ces révélations, on voit qu’elles ont été nombreuses, qu’elles ne portent pas seulement sur trois ou quatre points, mais sur tout l’ensemble des opérations de la guerre ; que Jeanne a prédit maintes choses qui ne sont pas arrivées, et que, sauf pour deux faits dont nous parlerons plus bas, dans tous les autres auxquels l’issue a répondu à la prédiction, « la raison ne doit voir, suivant l’expression de M. Quicherat, que des événements annoncés par un génie qui, sans se l’avouer, portait en soi la force de les produire. » Ces prédictions ne s’éloignent pas sensiblement des pronostics ou des pressentiments d’un politique ou d’un homme de guerre qui, d’une situation donnée, déduit des résultats prévus. En y ajoutant l’enthousiasme particulier à Jeanne Darc, on se fera une idée de leur véritable caractère. Ainsi, la levée du siége d’Orléans, le sacre de Reims et divers faits d’armes prédits à l’avance, se trouvent balancés par des insuccès qui, suivant les prédictions de Jeanne, devaient être des victoires ; qui eussent été des victoires peut-être si on l’eût écoutée ; mais ceci montre le sens profond qu’elle avait de l’art de la guerre et de la situation de la France beaucoup plus qu’un don de divination ou de prescience surnaturelle.

Il en est tout autrement de certains faits concernant la personne même de Jeanne Darc. Ainsi, la critique explique encore, sans avoir besoin de recourir au merveilleux, le secret révélé au dauphin Charles, comme elle l’appelait, par l’héroïne. Dans l’intuition profonde qu’elle avait des malheurs de la France, de l’inertie du roi, elle songea que peut-être ce faible monarque, se voyant si déshérité, avait conçu des doutes sur la légitimité de sa naissance. Les désordres et les débauches d’Isabeau de Bavière étaient connus jusque dans les campagnes, et Jeanne, en rassurant Charles VII sur ce point, par ordre d’en haut, disait-elle, toucha juste à la plus grande préoccupation du monarque. Il y a là, certes, une sorte de divination, mais ce n’est pas, à proprement parler, un miracle. La révélation de l’épée de Fierbois, qui se présente, suivant les derniers historiens de Jeanne Darc, et suivant M. Quicherat lui-même, avec les mêmes apparences de certitude que le fait précédent, porte en soi un plus grand caractère de merveilleux. Cependant, même en mettant en dehors tous les autres témoignages, en ne conservant que celui de Jeanne elle-même, en comparant l’assurance de ses réponses à ce sujet à l’embarras visible qu’elle éprouve, aux tortures morales qu’elle endure dès qu’elle se croit obligée de déguiser la vérité, il est impossible de ne pas croire qu’elle a dit vrai. Ainsi nous croyons que le fait de l’épée trouvée, sur les indications de Jeanne, derrière l’autel de Sainte-Catherine de Fierbois ne fut pas, comme l’insinuèrent les juges de Rouen, une comédie jouée pour frapper l’imagination populaire. Une telle conclusion semblera bien forte de nos jours, mais le fait suivant est encore plus singulier. Jeanne fut blessée au col devant le fort des Tournelles à Orléans ; cette blessure, elle l’avait prédite à l’avance, elle l’avait annoncée au roi étant encore à Chinon : « Je serai blessée au-dessus du sein ; » elle rappelle, dans son interrogatoire, et la blessure et la certitude qu’elle avait de la recevoir, ses voix le lui ayant révélé. Écartons son témoignage ; il en reste un autre irréfutable. Elle reçut cette blessure le 7 mai 1429 ; le 12 avril précédent, un ambassadeur flamand qui était à la cour de Charles VII écrivit à son gouvernement une lettre où se trouve cette phrase : « La Pucelle….. doit être blessée d’un trait dans un combat devant Orléans, mais elle n’en mourra pas. » Le passage de cette lettre a été consigné sur les registres de la chambre des comptes de Bruxelles. Ainsi le fait de la prédiction à Chinon est certain. - Sans donner dans un mysticisme exagéré, il est, ce semble, permis de reconnaître à Jeanne Darc une espèce de divination particulière, se manifestant tantôt par de profondes vues politiques sur la conduite de la guerre, sur la marche des événements, tantôt par des pressentiments personnels d’une netteté singulière, tantôt par une sorte de perception d’objets placés hors de la portée de ses sens. La conclusion de M. Quicherat est celle-ci : « Que la science y trouve ou non son compte, il n’en faudra pas moins admettre les visions de Jeanne Darc et d’étranges perceptions d’esprit issues des visions. » Nous laissons toutefois à M. Quicherat la responsabilité de son opinion sur ce point.

— II. L’inspiration de Jeanne Darc fut plus patriotique que religieuse. Les historiens contemporains, Quicherat, Michelet, Henri Martin, ont les premiers bien défini la situation exceptionnelle du berceau de Jeanne Darc, « étroite langue de terre appartenant à la Champagne, s’enfonçant et se perdant pour ainsi dire entre le duché de Bar, l’évêché de Toul et le duché de Lorraine. » Ils y ont vu la cause première de sa surexcitation enthousiaste. Cette étroite vallée de la Meuse, dépendante de la couronne de France depuis Charles V, mais séparée des régions restées fidèles pendant toutes les guerres anglaises par près de 80 lieues de pays ennemi, était restée comme à l’abri du bruit des armes jusqu’à la bataille de Verneuil. Une poignée de Français enfermés dans Vaucouleurs, seule ville fermée de la vallée, tint bon jusqu’à la fin ; mais toute la vallée fut soumise aux incursions des bandes anglaises. La bataille de Verneuil est de 1424, et c’est pendant l’été de 1425 que Jeanne entendit ses premières voix ; celle qui, plus tard, dira que jamais elle n’a pu voir couler le sang français sans sentir ses cheveux se dresser sur sa tête, puisa dans les malheurs mêmes de son pays, de ses proches, dans les ruines qu’elle avait sous les yeux, le sentiment de son inspiration et de sa force. « L’idée que je me fais de la petite fille de Domremy, dit M. Quicherat, est celle d’un enfant sérieux et religieux, doué au plus haut degré de cette intelligence à part qui ne se rencontre que chez les hommes supérieurs des sociétés primitives. Presque toujours seule, à l’église ou aux champs, elle s’absorbait dans une communication profonde de sa pensée avec les saints dont elle contemplait les images, avec le ciel où on la voyait souvent tenir ses yeux commue cloués. Mais du jour où l’ennemi apporta dans la vallée le meurtre et l’incendie, son inspiration alla s’éclaircissant de tout ce qu’il y avait en elle de pitié et de religion pour le sol natal. Attendrie davantage aux souffrances des hommes par le spectacle de la guerre, confirmée dans la foi qu’une juste cause doit être défendue au prix de tous les sacrifices, elle connut son devoir. N’eût-elle servi qu’au perfectionnement de cette âme généreuse, la résistance des habitants de la Meuse mériterait d’être immortalisée. »

Un mot de Jeanne Dard au procès de condamnation montre quels étaient ses sentiments à cette époque : un patriotisme presque fanatique : « Je ne sache pas, dit-elle en réponse à une question, qu’il y eût à Domremy plus d’un Bourguignon et j’aurais voulu qu’il eût la tête coupée ; — toutefois si cela avait plu à Dieu, » ajouta-t-elle, comme pour atténuer la naïve violence de sa pensée.

Que Jeanne fût éminemment religieuse, cela est hors de doute. Le chroniqueur Perceval de Cagny, le seul des chroniqueurs qui ait combattu à ses côtés, dit qu’elle « disait de moult merveilleuses choses, toujours parlant de Dieu et de ses saints. » Sa piété, sa pureté, sa candeur eurent certainement quelque influence sur les soldats et sur les chefs ; cependant on ne trouve dans ce chroniqueur si précis et si bien renseigné aucun de ces faits de conversion religieuse sur lesquels ont tant appuyé les écrivains postérieurs. On peut, au contraire, conclure de faits certains que, les gens d’Église ayant voulu, à cause de sa piété profonde, faire d’elle un instrument, elle ne s’y prêta jamais de bonne grâce. Elle repoussait toutes les momeries, et ne se souciait de passer ni pour une sainte ni pour une faiseuse de miracles. Même dans les choses insignifiantes, on peut voir que les historiens un peu postérieurs ont corrompu la vérité. Par exemple, ils lui font toujours dire : En nom Dieu ! » (au nom de Dieu !) comme si ce serment lui eût été familier. Perceval de Cagny, qui a vécu avec elle, ne lui en donne pas d’autre que : Par mon martin ! Ce serment revient presque à chaque parole de la Pucelle, et comme on sait qu’elle contraignit La Hire à ne plus jurer que « par son bâton, » que, d’autre part, elle-même portait toujours, non une épée, mais un petit bâton à la main, il y a tout lieu de croire que le mot du chro-