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Un chanoine de la cathédrale de Liège suggéra à Grétry l’idée d’aller à Rome terminer ses études. Le jeune virtuose accepta avec empressement la proposition..Mais comment faire le voyage ? la famille était pauvre, et comment, d’autre part, obtenir un subside du chapitre ? Une inesse qu’il fit exécuter satisfit tellement tes chanoines, qu’ils lui accordèrent ie secours pécuniaire demandé ; et, au mois de mars 1759, à l’âge de dix-huit ans, Grétry prit la route de l’Italie. Arrivé à Rome, il choisit Casali pour maître de contre-point et dut quelques bons conseils à la bienveillance du P. Martini. Pendant quatre ou cinq ans, l’élève essaya de se plier a la discipline de ce maître, dont il parait ne pas avoir apprécié tout le mérite, pas plus que le maître ne devina les aptitudes de l’élève. Le jeune artiste n’était pas fait pour les formules algébriques de la science, car la recherche de la vérité dans l’expression devait être l’unique objet de ses efforts.

Les entrepreneurs du théâtre Aliberti, à Rome, ayant entendu quelques scènes lyriques et des symphonies composées par Grétry, lui confièrent la musique d’un petit intermède, le Vendemiatrice (les Vendangeuses). Cette tentative fut bien accueillie, et l’auteur pouvait, dans le genre bouffe italien, s’acquérir une certaine célébrité, quand un secrétaire de la légation française lui communiqua la partition de Ruse et Cotas. Le fiât lux se produisit : Grétry vit que sa vocation l’entraînait vers l’opéra-comique, et comme Paris seul pouvait lui offrir les moyens de vulgariser ses idées, il s’empressa de quitter Rome.

Après avoir séjourné quelque temps à Genève, où il fit représenter une petite pièce, Isabelle et Gertrude (17G7), et passé par Ferney, sans pouvoir décider Voltaire a écrire pour lui un livret d’opéra, Grétry vint à Paris et finit par se faire confier la musique des Mariages samnites, paroles de Du Rozoy, qui furent représentés chez le prince de Conti. Marmontel écrivit pour lui le petit poëme du linron, et la première représentation eut lieu, le 20 août L709, à la Ûom dic-Italienne ; le compositeur obtint un véritable triumphe. Aussi, le lendemain, cinq poèmes d’opéracomique lui étaient-ils, adressés. Quelques mois après le Huron parut Lucile, qui renferme le "célèbre quatuor ; Oà peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? puis vint le Tableau parlant, gracieuse partition aussi fraîche de nos jours que lors de sa nouveauté. Malgré les cadences vieillottes, les formules avariées et la maigreur de l’instrumentation, les mélodies qui abondent dans cette ravissante partition satisfont encore aujourd’hui les oreilles les plus exigeantes et les plus avides de nouveauté. Sylvain (1770) ; les Deux avares (1770), avec leur fameuse marche : La garde pnxse, il e*t minuit ; l’Amitié à l’épreuve (17711 ; Zémire et Anor (1771) et la Rosière de Salency (1774), consolidèrent encore sa réputation ; puis vinrent d’autres chefs-d’œuvre : la Fausse magie (1775) et son admirable duo ; l’Amour jaloux et sa délicieuse sérénade : Pendant que tout sommeille ; Jiic/iard Cœur de lion (1784), que l’air : Une fièvre brûlante a conduit à la postérité ; l’Epreuve villageoise (1783), et, dans un ordre inférieur : te Jugement de Midas (1778) ; la Caravane du Caire (1783), à l’Opéra (dont la marche forme le pendant de celle des Deux avares) ; Passage dans file des Lanternes ; Anacréon chez Polycrate (1977), dont l’air : Laisse en paix le Dieu des combats fait partie du répertoire courant des concerts du Conservatoire. Quelques tentatives faites par

Grétry dans le grand genre lyrique lui démontrèrent rapidement que son talent se perdait dans les grands cadres dramatiques ; ce sont : Céphale et Procris (1773) ; Andromaque (1780) ; Aspasie (1789) ; Denys le tyran (1794).

Au milieu de toutes ces victoires s’impatronisait à l’Opéra-Comique un genre nouveau et plus élevé, qui se substitua petit à petit aux grâces et aux sourires de la muse de Grétry. La Révolution de 1789 avait imprimé aux esprits un cachet de sérieux et d’énergie qui devait se refléter même sur l’art musical. Cherubini et Méhul introduisaient, même dans l’opéra-comique, le style sévère et les sonorités pompeuses de l’instrumentation. Grétry accepta désespérément la lutte, et écrivit : Pierre le Grand (1790) ; Lisbelh (1797) ; Guillaume Tetl (noi), et Elisca (ITÙ9),

?ui tombèrent. Il n’avait ni la science ni la

orce suffisantes pour faire vibrer la corde d’airain des grandes passions dramatiques.

Grétry ressentit vivement sa disgrâce passagère. Le désespoir faillit l’atteindre ; mais bientôt unn réaction se fit en sa faveur ; les spectateurs de l’Opéra-Comique demandèrent des tableaux plus riants, et Richard, Zémire et Azor, le Tableau parlant reparurent sur les affiches. Depuis lors, les œuvres de Grétry ont toujours fait de fréquentes apparitions sur nos théâtres lyriques, et sont devenues même les classiques du genre, abstraction faite toutefois de l’orchestration, pour laquelle l’auteur professait un dédain fâcheux. La musique de Grétry brille surtout par le chant, le sentiment scénique et la vérité de l’expression-, mais, une fois sa mélodie trouvée et s’adaptant bien aux paroles, Grétry laissait de côté les ensembles et l’effet des masses chorales et instrumentales. De là vient que sa musique, facile, pétillante et superficielle, identique à la nature française, n’a

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point réussi à l’étranger. Méhul disait avec finesse, en parlant des infiniment petits détails et des arguties de rhéteur dans lesquels se complaît Grétry : « C’est de l’esprit, mais Ce n’est pas de la musique. » Grétry est toujours resté stationnaire dans son art ; le dédain ridicule qu’il affectait pour toutes autres compositions que les siennes et le culte égoïste de sa personnalité l’ont empêché de suivre le progrès ou la transformation de l’art musical et d y contribuer.

Les honneurs de tout genre s’accumulèrent sur la tête de Grétry. En 179S, lors de la formation de l’Institut, il fut choisi pour remplir une des places de compositeurs dans la section de musique. Il put voir, dès 1785, son nom inscrit par 1 administration parisienne à l’angle d’une des rues qui avoisinent le Théâtre-Italien. Son buste figura, à "la même époque, au foyer de l’Opéra, et, en 1809, sa statue en marbre fut placée sous le vestibule de l’Opéra-Comique. Recherché par les sommités

de l’ancienne cour, comblé de bienfaits par ses protecteurs, il reçut, en 1782, un pension de 1,000 francs sur la caisse de l’Opéra ; puis le roi lui en constitua une autre de 1,000 écus, et la Comédie-Italienne l’inscrivit, dès 1786, au nombre de ses pensionnaires. La Révolution de 1789 tarit les sources de sa fortune ; mais la vogue éclatante dont jouirent ses ouvrages à leur reprise, les produits considérables qu’il retira de ses droits d’auteur, joints à la pension de 4,000 francs que lui accorda Napoléon, lui permirent de passer dans l’abondance le reste de ses jours. Grétry mourut dans l’Ermitage de J.-J. Rousseau, dont il avait fait l’acquisition. Ses funérailles donnèrent lien à des démonstrations extraordinaires ; des éloges académiques et des oraisons funèbres-furent composés en son honneur.

Avec Duni, Philidor et Monsigny, mais à un degré immédiatement supérieur, Grétry doit être considéré comme le créateur du genre de l’opéra-comique français. Malgré les lacunes de son talent, ce grand homme fut, dans la plus réelle acception du mol, le musicien de la nature et de l’instinct. L’expression des paroles et le sentiment de la scène étaient ses seuls guides ; et, si parfois son inspiration manque de distinction et même de franchise, Grétry n’en est pas moins l’un des rares compositeurs chez qui la pensée musicale n’a jamais formé un contre-sens avec la pensée poétique.

Les œuvres dramatiques de cet illustre compositeur qui ont été représentées et dont nous avons cité les principales s’élèvent au nombre de cinquante et une. Six opéras de lui sont restés en manuscrits. On lui doit, en outre : Une Messe solennelle a quatre voix, un Confiteort six motets à deux et trois voix, un De profundis et une Messe de requiem, six symphonies pour orchestre, deux quatuors pour clavecin, flûte, violon et basse, six sonates pour clavecin et six quatuors pour deux violons, viole et basse.

« On a encore de lui : Mémoires ou Essais sur la musique (Paris, 1799, 3 vol. in-8°), qui démontrent sa parfaite ignorance en histoire, en littérature, en harmonie et surtout dans l’art d’écrire ; Méthode simple pour apprendre à préluder (Paris, 1802) ; la Vérité (1802, 3 vol. in-8°), divagations politiques des plus ennuyeuses, qui n auraient trouvé aucun iecteur si Grétry ne les avait entremêlées d’anecdotes piquantes sur sa vie.

GIIÉTRV (Lucile), tille du précédent et compositeur elle-même, née à Paris vers 1770, morte en 1793. Son père lui enseigna les éléments de l’art musical et la composition ; la jeune fille profita si rapidement des conseils paternels, qu’à l’âge de treize ans elle écrivit un petit opéra, le Mariage d’Antonio, qui fut représenté à la Comédie-Italienne avec succès (1786). En 1787, elle donna au même théâtre Tuinetle et Louis, qui n’eut qu’une réussite contestée. Cette même année, elle contracta un mariage malheureux ; elle mourut six ans après cette union.

GRETRY (André-Joseph), auteur dramatique français, neveu du célèbre compositeur, né à Boulogne-sur-Mer en 1774, mort en 1820. Il a composé un grand nombre de pièces de théâtre, de romans, de poésies ; mais, malgré sa fécondité, il vécut constamment dans l'état le plus précaire, devint aveugle et mourut d’hydropisie. Parmi ses productions, dont aucune n’obtint un grand succès, nous citerons : le Barbier du village, opéra-comique en 1 acte (1802) ; Duval, comédie en 1 acte (1802, in-8°) ; Une matinée des deux Corneille, comédie-vaudeville (1804, in-8°) ; l’Oncle et le neveu, comédie-vaudevitle (1804) ; Lutineau ou le Château de Nuremberg, comédie-vaudeville (1806) ; Sigebert, roi d’Austrasie, drame (1807) ; Haine aux deux sexes, comédie (1815), etc. Outre ces pièces de théâtre, nous mentionnerons : Roses et pensées, recueil de contes, fables, romances (1805) ; l’Amour et le crime ou Quelques journées anglaises (1807) ; le Nouveau théâtre de Séraphin ou Entretiens instructifs, amusants et muraux (1809-1810, 2 vol. in-8°) ; le Portefeuille de la jeunesse, recueil de contes (1810) ; Grétry en famille ou Anecdotes littéraires et musicales (1815). André Grétry a laissé en outre des poésies, des romances dont il a écrit la musique, et plusieurs romans.

GUÉTRY (Louis-Victor Flamand-), littérateur français. V. Flamand-GRétky.

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GRETSCH (Nikolaï-Ivanovitch), écrivain russe, né en 1787 à Saint-Pétersbourï. Il entra fort jeune à l’école militaire des Cadets, où il fit preuve de grandes dispositions pour les sciences naturelles. En 1809, il fut nommé professeur de littérature dans un collège de Saint-Pétersbourg, et, en 1813, professeur au Gymnase de cette ville. Il fut ensuite nommé bibliothécaire honoraire de l’empereur, sinécure qui lui permit de visiter successivement l’Allemagne, l’Angleterre et la France. Revenu en Russie, il y popularisa la pédagogie française. En 1824, il quittait la carrière de l’enseignement, avec le titre honorifique de conseiller des études, voulant s’adonner exclusivement à la littérature. Nommé conseiller d’État en 1830, il fut chargé d’un poste important au ministère de l’intérieur et fonda un recueil périodique particulier à ce ministère. Après avoir passé par le ministère des finances, il se mit a parcourir de nouveau l’Europe pour étudier les méthodes d’enseignement pratiquées dans les divers pays, et le résultat de ses observations le conduisit à fonder en Russie plusieurs écoles d’instruction professionnelle. Les ’publications de M. Gretsch sont aussi nombreuses qu’importantes. Nous citerons entre autres : Notions élémentaires sur les déclinaisons et les conjugaisons de la langue russe (1809-1811) ; Essai d’une histoire de la littérature russe (1819-1822) ; Traité complet de la longue russe (1827-1830), dont il existe une traduction française, publiée en 1828 par Reiff ; Grammaire pratique de la langue russe (1827) ; Introduction pratique à l’enseignement de la langue russe

i1832) ; le Voyage d’un /lusse en Allemagne 1831) ; la Femme noire (1834) ; fféttres d’Angleterre, de France et d’Allemagne (1838) ; Lettres d’Allemagne et d’Italie (1843) ; la Russie en 1839, commentaire sur l’ouvrage de Custine. En outre, M. Gretsch a collaboré aux Esquisses littéraires russes (1840), au Dictionnaire de la conversation russe, au Dictionnaire militaire et à divers ouvrages encyclopédiques. En 1812, il fonda un journal hebdomadaire : le Fils de la patrie-en 1825, avec Boulgarine, l’Abeille du Nord, un des journaux littéraires les plus répandus en Russie. Enfin, en 1854, il a été l’un des fondateurs du Nord, journal russe publié à Bruxelles, et créé pour faire échec a la politique française. Il a obtenu, dans ces derniers temps, le titre de conseiller intime.

GRETSER (Jacques), jésuite et écrivain allemand, né à Marckdorf (Souabe) en 1561, mort à Ingolstadt en 1625. Il professa pendant vingt-quatre an3 la philosophie et la théologie dans cette dernière ville. Gretser possédait une grande érudition, mais manquait d’esprit critique. « Ce qu’on doit le plus estimer dans ses ouvrages (dont le nombre . s’élève à environ 150), c est, dit Dupin, l’exactitude avec laquelle il recueille sur chaque sujet tout ce qui peut 3’ avoir quelque rapport. On peut dire que ses livres sont de bons mémoires pour ceux qui veulent travailler sur les matières qu’il a traitées. » Il a attaqué avec beaucoup de violence et d’aigreur ses adversaires. On prétend toutefois qu’il était fort modeste. Les habitants de sa ville natale lui ayant un jour demandé son portrait, il leur fit répondre qu’ils n’avaient qu’à faire peindre un âne. Ses Œuvres complètes, qui comprennent des ouvrages de théologie, de philologie, de controverse, aujourd’hui dépourvus d’intérêt, ont été publiées à Ratisbonne (1734-1741, 17 vol. iii-fol.).

GREUBE s. f. (greu-be). Econ. domest. Matière calcaire pulvérulente, employée à Genève pour frotter les boiseries de sapin.

GREUL s. m. (greul — lat. glis, gliris, même sens). Mamm. Nom vulgaire du loir.

GREUSSEJi, petite ville d’Allemagne, dans la principauté de Schwarzbourg-Sondershausen, à 17 kilom. S. de Sondersnausen ; 2,500 hab. Industrie active ; tissage de coton et de laine.

GREuvier s, m. (greu-vié). Bot. Syn. de

GREW.IE.

GREUZE (Jean-Baptiste), l’un des plus célèbres peintres de genre du xvnio siècle, né à Tournus (Saône-et-Loire) en 1726, mort en 1805. II.étudia d’abord soùs Grandon, habile peintre de portraits de l’école lyonnaise, suivit ensuite, à Paris, les cours de l’Académie, et débuta par un chef-d’œuvre, le Père de famille expliquant la Bible à ses enfants. Admis au nombre des académiciens en 1769, il eut l’ambition de s’élever à la peinture historique, alla à Rome pour s’y inspirer des plus beaux modèles en ce genre, donna, à son retour, un tableau représentant : Séoère reprochant à son fils Caraculla d’avoir voulu l’assassiner ; mais il éprouva un si complet échec qu’il dut revenir à la peinture de genre, dans laquelle son talent tout original devait lui conquérir un rang distingué. Greuze n’a pas de rival dans les scènes de famille. Ses compositions sont de petits draines intimes, se déroulant sous le chaume et dans la mansarde de l’artisan, toujours ennoblis par la moralité du but, par la touchante et naïve expression des figures. Il groupe admirablement ses personnages ; mais on lui reproche de les multiplier trop, de ne pas les varier assez, de charger quelquefois ses types, de trop viser parfois à l’effet théâtral, et de donner aux visages des adolescents cette forme bouffie qui était, du reste, dans le mauvais goût de l’époque. Les prin GREIT

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cipales toiles de cet artiste ont été reproduites par le burin de Lebas, Flipart et Massard père. A celles que nous avons citées nous ajouterons : la Petite fille au chien, qui est peut-être son chef-d’œuvre ; le Père paralytique ; la Malédiction paternelle ; la Belle-mère ; le Frère dénaturé abandonné de sa famille ; Sainte Marie VÉgyptienne ; l’Accordée de village, au musée du Louvre ; la Cruche cassée ; la Bénédiction paternelle ; l’Enfant au capucin. Greuze a raconté comme il suit ce qui lui avait donné l’idée d’un de ses meilleurs tableaux. » Un jour, disait-il, que je passais sur le pont Neuf, je vis deux femmes qui se parlaient avec beaucoup de véhémence. L’une d’elles répandait des larmes et s’écriait : « Quelle belle-mère ! Oui, elle lui donne du pain ; mais elle lui brise les dents avec le pain 1 qu’elle lui donne. » Ce fut un trait de lumière pour mot, et je traçai le plan de mon tableau connu sous le nom de la Belle-mère.

Greuze s’est fait dans le portrait une place à part. Laissant de côté les fades Cupidons et tout l’attirail mythologique des peintres à la mode, il vécut a l’écart de l’école et peignit en toute liberté, selon son goût personnel. On se souciait alors fort peu de la ressemblance, pourvu que les hommes fussent peints en Mars ou en Apollon, les femmes en Diane, en Flore, en Vénus, avec de grands yeux, de petites bouches, les joues rondes et roses. Ses scènes familières, ses tableaux empruntés à la vie privée de la bourgeoisie furent le premier coup porté aux divinités de boudoir. Ses portraits, en fort grand nombre, sont pleins de vie et de sentiment ; ses têtes de femmes ont quelquefois une expression exagérée, mais elles ont un moelleux infini, une grâce et une fraîcheur particulières. Diderot était plein d’enthousiasme pour le portrait élu graveur Wille : « Comme cela est coiffé I s’éorie-til ; que le dessin est beau ! que la touche est fièrel quelles vérités et variétés de tonsl Et le velours, et le jabot, et les manchettes, d’une exécution I... J’aurais plaisir h voir ce portrait à côté d’un Rubens, d’un Rembrandt ou d’un Van Dyck. » Nous consacrons une étude spéciale nux portraits que Greuze a faits de lui-même et de sa femme. « Greuze était’d’une taille au-dessous de la médiocre, dit Pillet ; il avait du feu dans les yeux et quelque chose de bizarre dans la coiffure, ainsi que dans l’habillement. H-aimait la parure... et n’était pas moins galant dans ses manières que dans ses habits. » Il se plaisait fort dans la société des femmes, avec lesquelles il était très-aimable. Ou prétend quo 1 humeur difficile de la sienne empoisonna son existence. Cela ne l’empêcha pas d’en être longtemps amoureux et de la prendre pour modèle dans un grand nombre de ses compositions. La fin de sa vie fut pénible, mais il sut en surmonter les difficultés k l’aide d’une certaine philosophie pratique et de l’enjouement de son caractère. Il se promenait souvent (1796) sur le boulevard du Temple, au bras de sa domestique, quoiqu’il marchât encore bien. C’était un petit vieillard k cheveux blancs, poudrés et frisés en ailes de pigeon. Sa figure, qui avait dû être jolie, était riante et heureuse. Sa fortune était alors très-médiocre et ne pouvait guère s’améliorer au milieu de-la tempête révolutionnaire ; ses plus belles toiles se vendaient à vil prix ; on en voyait jusque chez les chaudronniers et dans les étalages de la rue. C’est un témoin ocufaire, M. Ch. Maurice, qui a raconté ce fait dans ses Souvenirs. Dans la longue carrière de Greuze, ses succès lui avaient procuré une assez grande aisance ; mais ses économies,

filacées sur dés maisons de banque iufidèes ou frappées par les circonstances, furent perdues. Lorsque la Convention eut décrété que des logements gratuits seraient mis à la disposition des gens de lettres et des artistes qui auraient bien mérité de leur art, un appartement lui fut donné "dans les galeries du Louvre. C’est là qu’il mourut, dans un état voisin de l’indigence. Il faisait ce jour-là un beau soleil, ce qui lui fit dire : « J’aurai du beau temps pour mon voyage. » Il avait près de lui sa fille et un ami, Barthélémy, k qui il dit en lui serrant la main : à Tu seras le chien du pauvre à mon enterrement, car tu seras seul. » Berthéleiny fut seul en effet. Quand on dit à Napoléon que Greuze était mort très-pauvre et très-délaissé : « Que ne parlait-il 1 dit l’empereur ; je lui aurais donné une cruche de Sèvres pleine d’or pour payer toutes ses cruches cassées. » Les tyrans ont toujours aiuiôlesinendiants. Greuze, octogénaire, uvuit passé ses derniers jours à faire son portrait et celui d’une de ses filles. Le sien tut jugé le meilleur du Salon de 180.">. C’était le seul héritage qu’il pût laisser à ses enfants. « Tu vendras cela cent livres, » disait-il à sa fille Caroline. Celle-ci garda le portrait de son père et vendit le sien.

En 1808, une statue de marbre a été élevée k Greuze, sur la place publique de Tournus, sa ville natale.

Greuze (portrait db), de trois quarts, musée du Louvre. L’artiste s’est représenté lui-même en buste, la tète découverte, les cheveux bouclés et poudrés, vêtu d un habit bleu, d’un gilet grisâtre et d’une cravate blanche nouée négligemment. Ce tableau, qui a fait partie des collections La Live de Jully et Spontini, a été gravé dans le Musée français. Un autre portrait de Greuze, de profil, a été gravé par Flipart. M. Gruyèro, s inspi-