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tance opiniâtre. Dietriçh n’apprend la fatale nouvelle qu’après une victoire complète remportée sur l’armée d’Ermenrich, et revient à la cour d’Etzel, déshonoré. Ce poème renferme plusieurs morceaux fort pathétiques.

— XII. Le combat de Dietriçh et de ses compagnons avec les géants. XIII. Le géant Sigenot. XIV. L’expédition d’Ecken. Nous réunissons ensemble ces trois poèmes, de longueur inégale, et d’un intérêt moins considérable que les précédents. Ils racontent différentes aventures de Dietriçh de Berne.

— XV. Le roi Lauvin ou le Petit jardin de roses. On attribue ce poëme à Henri d’Oftinder. Le nain Laurin possédait dans le Tyrol un jardin rempli de roses merveilleuses et défendu seulement par un fil de soie enchanté. Bien des héros avaient tenté sans succès de cueillir ces fleurs magiques. Dietriçh, après de longs efforts, parvint à se rendre maître du nain, qu’il fit prisonnier. On regarde généralement cet épisode plutôt comme un récit romantique que comme une véritable légende héroïque. Il rappelle le Das Rozengartenlied.

— XVI. Chautrun (Gutrun). Ce poëme, assez long, a dû être composé pendant la période la plus florissante de l’histoire littéraire du moyen âge. Le sujet est assez compliqué ; on y voit paraître des personnages inconnus jusqu’alors, tels que Hugen, le roi Sigeband, Hilde, Horant, etc. Ce dernier est un type de chanteur, ou plutôt de trouvère (saënger) qui rappelle de loin la légende d’Orphée.

— XVII. Le roi Rother. Cet épisode a pour base des traditions lombardes et orientales. Le roi Rother, résidant à Bari, envoie demander en mariage la fille de l’empereur Constantin, qui emprisonne les envoyés. Rother, alors, se déguise, vient à Constantinople, s’empare de sa fiancée et l’enlève. Mais Constantin parvient bientôt à reprendre sa fille, que Rother vient alors rechercher à la tête d’une armée imposante. D’après les détails donnés par l’auteur, il a dû vivre longtemps à la cour des empereurs grecs.

— XVIII, Otnitt. On attribue généralement ce poème, qui contient 2,272 vers partagés en strophes analogues à celles des Niebelungen, à Wolfram d’Eschenbach. Il a été remanié à différentes époques, et considérablement réduit dans ces transformations. Un roi puissant, Otnit ou Ottnitt, ayant appris que le roi païen Nachaol possédait une fille merveilleusement belle, mais qu’il faisait couper la tête à tous ceux qui venaient la lui demander en mariage, résolut de se mettre sur les rangs des prétendants. Armé d’une cuirasse d’or et d’une épée magique, Otnitt, accompagné de 80,000 hommes, vient attaquer le roi Nachaol, le bat, lui enlève sa fille, et se marie avec elle après l’avoir fait baptiser.

— XIX. Wolfdietrich. Ce poème, composé par Wolfram d’Eschenbach, fait suite au précédent. Wolfdietrich, chassé de ses domaines par ses frères, et obligé d’errer à l’aventure dans le monde, entreprend une croisade avec Otnitt, dont il devient le fidèle compagnon, et avec lequel il accomplit de nombreux exploits. Enfin, à la tête d’une puissante armée, il se rend à Constantinople, se venge de ses frères, rentre en possession de son héritage, et se fait même proclamer empereur à Rome.

— XX. Wikich von Garten. Ce petit poème, d’un intérêt à peu près nul, semble être une traduction du provençal.

Les vingt poèmes que nous venons d’analyser rapidement constituent, par leur réunion, le Heldenbuch. Un Allemand, Mone, essayant d’appliquer à ce cycle immense une méthode critique, a réparti ces différents poèmes suivant la nationalité des peuples qui y dominent ; en partant de ce principe, il a reconnu que trois d’entre eux devaient être attribués aux Francs, un aux Saxons, treize aux Ostrogoths et trois aux Wisigoths. Nous n’insisterons pas sur ce point ; nous ferons seulement remarquer l’étrange analogie qui existe entre les lieder allemands et nos fabliaux, nos chansons de geste, etc., du moyen âge, pour le choix des sujets, la manière dont ils sont traités, les principaux personnages qui y figurent, les grands événements qui s’y répètent si souvent, les mœurs, la langue, etc. L’Orient n’a pas été non plus sans influence sur la création de cette œuvre caractéristique du moyen âge ; on pourrait, par exemple, citer tel poème du Heldenbuch qui rappelle par son plan une légende arabe conservée dans la partie encore inédite des Mille et une nuits. Ces points de contact se rencontrent surtout à propos de certains faits communs aux nations de l’Occident et de l’Orient et leur servant d’intermédiaire, comme les croisades, les empereurs grecs de Constantinople, etc.


HELDER (LE), ville maritime et place forte de Hollande, province de la Hollande septentrionale, à 75 kilom. N. d’Amsterdam, sur le détroit de Marsdiep, vis-à-vis de l’Ile de Texel ; 10,775 hab. Tanneries, brasseries, fabrique de poudre. Le Helder communique avec Amsterdam par le canal qui porte son nom. Vers la fin du dernier siècle, cette ville n’était qu’un grand village de pécheurs. En 1811, Napoléon y fit commencer des fortifications considérables, achevées plus tard par le gouvernement hollandais. Nieuwe-Diep, extrémité du canal du Nord, est le port extérieur du Helder ; son bassin se ferme à l’aide d’écluses à éventail ; le choc des eaux est dirigé contre ces écluses, de manière qu’elles se ferment d’elles-mêmes.

Le Helder est protégé par des forts, des batteries et une grande digue de 8,000 mètres de longueur sur 13 mètres de largeur. « Cette digue, dit M. X. Marmier, est construite tout entière avec des blocs de granit arrachés aux montagnes de la Norvège. Soutenue à sa base par des quartiers de roc, couverte de terre et de gazon à sa sommité, elle sert de route aux charrettes et de promenade aux bourgeois. C’est certainement une des œuvres les plus colossales, les plus admirables du génie moderne. Quand on mesure du regard l’étendue et la profondeur de cette muraille de roc, il semble que les habitants de la Nord-Hollande doivent n’avoir rien à redouter des inondations, et cependant bien peu d’années se passent sans jeter dans leurs cœurs le doute sinistre. La vague infatigable monte sans cesse, et sans cesse vient se briser contre la barrière qui l’arrête. Plus le rempart est ferme et plus elle semble inflexible dans sa colère, implacable dans ses efforts. » Sur le point le plus élevé des dunes qui bordent le rivage, jusqu’au village de Huisduinen, a été établi le fort Kidjkduin, dans les constructions duquel est compris un phare. C’est vis-à-vis de cette côte du Helder que fut livrée, le 21 août 1673, une bataille navale entre les Hollandais et la flotte anglo-française. L’escadre française était sous les ordres du comte d’Estrées ; de Ruyter et Cornelis Tromp commandaient la flotte hollandaise. Les Anglais perdirent quelques bâtiments ; les Hollandais n’en perdirent aucun.

Le district qui entoure Le Helder, d’un aspect triste et sauvage, n’est qu’un banc de sable arraché à la mer, et, sans les travaux incessants et considérables des habitants, cette contrée serait inhabitable.


HELDMANN (Frédéric), écrivain allemand, né à Mergals-Hœchheim (Franconie). Il s’adonna à l’enseignement à Wurzbourg, à Aarau (1807) et à Berne (1817). Heldmann a passé de longues années à étudier l’origine et l’essence de la franc-maçonnerie, dont il faisait partie depuis 1809, et, de concert avec le célèbre Zchokke, il a fondé une loge à Aarau. Outre de nombreux articles insérés dans la Gazette européenne, on lui doit : les Trois plus anciens monuments de la confrérie maçonnique allemande, suivis d’une Esquisse de l’histoire générale de la franc-maçonnerie (Aarau, 1819) ; Fleurs d’acacias suisses, ou Livre de poche des francs-maçons (Berne, 1820) ; Manuel des francs-maçons, etc.


HÈLE (Thomas (D’), auteur dramatique. V. d’Hèle.


HÉLÉ, ÉE (é-lé ; h asp.) part, passé du v. Héler : Un navire hélé.


HÉLÉASTRE s. m. (é-lé-a-stre — du gr. hélos, clou ; aster, étoile). Bot. Genre de plantes, de la famille des composées, tribu des astérées, comprenant plusieurs espèces, qui croissent dans l’Amérique boréale.


HÉLÉE s. m. (é-lé — du gr. haleos, fou). Entom. Genre d’insectes coléoptères hétéromères, de la famille des taxicornes, tribu des cossyphènes, comprenant une douzaine d’espèces, qui habitent l’Australie.


HELENA, bourg de l’ancienne Gaule Belgique, où Clodion, chef des Francs, fut battu par Aétius, vers 447. Quelques savants placent ce bourg à Lens (Pas-de-Calais), d’autres à Hesdin ou à Halène, près de Péronne. || Autre localité de l’ancienne Gaule. V. Illiberis.


HÉLÈNE s. f. (é-lè-ne — nom de la femme de Mélénas, célèbre par sa beauté et par la guerre de Troie, dont elle fut cause). Femme qui s’attire, par sa beauté, les vœux d’un grand nombre de soupirants. V. l’art. suivant.

— Astron. Nom de l’une des deux étoiles principales de la constellation des Gémeaux.

— Météorol. Nom donné anciennement au feu Saint-Elme.

— Erpét. Espèce de couleuvre.

— Ichthyol. Espèce de murène.

— Arboric. Hélène-Grégoire, Variété de poire.

— Hortic. Variété de tulipe.


HÉLÈNE, héroïne de l’Iliade, qui appartient plus à la légende païenne qu’à l’histoire. Jupiter, épris de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte, se métamorphosa en cygne, afin de la séduire plus facilement, et en eut Hélène, Castor et Pollux (les Dioscures). Hélène était sœur de Clytemnestre. Dès l’enfance, sa beauté merveilleuse lui avait conquis une telle célébrité dans la Grèce, que Thésée, aidé de Pirithoüs, vint l’enlever dans le temple de Diane pendant qu’elle dansait les danses sacrées, l’emmena en Attique, et la laissa grosse entre les mains d’AEthra, sa mère. Délivrée par ses frères, Castor et Pollux, qui la ramenèrent à Sparte, Hélène y accoucha d’une fille dont l’éducation fut confiée à Clytemnestre. C’est cette fille, dite Iphigénie, qui figure dans l’Iphigénie de Racine, sous le nom d’Ériphile. Aussi Clytemnestre, dans la même pièce, dit-elle à Agamemnon pour le détourner de la guerre de Troie :

             Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène, qui trouble et l’Europe et l’Asie,
Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits ?
Combien nos fronts, pour elle, ont-ils rougi de fois !
Avant qu’un nœud fatal l’unît à votre frère,
Thésée avait osé l’enlever à son père ;
Vous savez, et Calchas mille fois vous l’a dit,
Qu’un hymen clandestin mit ce prince en son lit.
Et qu’il en eut pour gage une jeune princesse
Que sa mère a cachée au reste de la Grèce.

Le rapt de Thésée, loin de ternir la réputation d’Hélène aux yeux des Grecs, ne fit, au contraire, que l’entourer d’un nouveau prestige, et les héros les plus célèbres de la Grèce, tous ceux dont Homère a immortalisé les exploits dans l’Iliade, briguèrent à l’envi sa main : Ulysse, Antiloque, Diomède, Ajax, Philoctète, Patrocle, Idoménée, Ménélas, et bien d’autres encore. Tyndare, voyant sa fille recherchée par un si grand nombre de princes, et craignant de s’attirer le ressentiment de ceux dont les vœux seraient repoussés, suivit le conseil d’Ulysse et fit jurer à tous ces rivaux de se réunir contre quiconque voudrait disputer Hélène à celui qu’elle aurait préféré. Il se détermina alors en faveur de Ménélas. Bientôt Pâris, fils de Priam, roi de Troie, enflammé par les récits qu’on lui faisait de l’incomparable beauté d’Hélène, se rendit à Sparte, pendant une absence de Ménélas, réussit à se faire aimer de sa femme et l’enleva. L’époux outragé somma ses anciens rivaux de tenir leur serment, et c’est alors que, sous la conduite d’Agamemnon, ils entreprirent la guerre de Troie. Après la mort de Pâris, Hélène épousa son frère Déiphobe, qu’elle livra à la fureur des Grecs dans la nuit même où Troie fut prise et saccagée ; elle se fit ainsi pardonner son adultère. Ménélas la reprit, et tous deux revinrent ensemble à Sparte, où elle régna aussi longtemps que vécut Ménélas. Après la mort de ce dernier, elle fut chassée par Mégapenthe et Nicostrate, fils naturels de son époux, et se réfugia à Rhodes, ou l’Argienne Polyxo, femme du roi Tlépolème, la fit étouffer au bain et pendre ensuite à un arbre (de là son surnom de Dendritido).

Selon quelques commentateurs d’Homère, Pâris ne put vaincre la résistance d’Hélène que grâce à Vénus, qui, pour le favoriser, lui donna les traits de Ménélas. Trompée par cette ressemblance, Hélène suivit Pâris, qui ne se fit connaître que lorsqu’il fut en pleine mer. D’après une autre tradition, Hélène n’aurait jamais été à Troie ; Mercure l’aurait enlevée à Pâris et conduite en Égypte, tandis qu’une vaine image, œuvre des dieux, tenait la place d’Hélène dans le palais de Priam. Ménélas fut donc obligé de se rendre en Égypte pour y chercher son épouse et la ramener à Sparte. Beaucoup d’autres traditions, que nous croyons inutile de mentionner ici, ont trouvé crédit chez les poètes.

Hélène était pour les Grecs le type, la personnification de la beauté, et leur imagination s’était plu à lui créer des aventures. Le caractère d’Hélène nous est surtout connu par les poèmes d’Homère et par une tragédie d’Euripide, œuvres où elle revêt une tout autre individualité. Dans Homère, elle est encore moins coupable que malheureuse ; c’est une victime de la fatalité, destinée au déshonneur par sa beauté. Aussi sa faute n’exclut-elle pas les sentiments généreux, l’amour de la patrie et de son époux, jusqu’au remords et au sentiment de son indignité. Une célèbre description d’Homère nous montre avec quelle affection respectueuse parlaient d’elle les vieillards de Troie. « Autourde Priam, de Panthoüs et de Thymétès, de Lampus, de Clytius, d’Icétoon, fils de Mars, Oucalégon et Agénon les plus âgés du peuple, se tenaient sur les portes Scées. Ils s’abstenaient de la guerre à cause de leur vieillesse ; mais, habiles discoureurs, leur voix était pareille à celle des cigales qui, dans la forêt, sur les rameaux des arbres, font entendre leurs doux accords. Tels, les chefs des Troyens se tenaient sur la tour. Mais, dès qu’ils eurent vu Hélène venir vers la tour, aussitôt ils s’adressèrent les uns aux autres ces paroles ailées : « Il est bien juste que les Troyens et les Achéens aux belles cnémides souffrent pendant longtemps des maux sans nombre pour une telle femme. Elle a vraiment le visage d’une déesse immortelle. Que le malheur nous soit réservé, à nous et à nos enfants, pour qu’une femme si belle ne retourne pas dans les vaisseaux. »

Dans d’autres passages, le poète nous montre Hélène méritant l’estime et l’amitié de Priam et d’Hector par la générosité de ses sentiments, par la noblesse de son caractère et surtout par son repentir qu’elle exhale en paroles pleines d’amertume. Suivant Homère, Hélène n’est pas coupable : elle a été victime de sa propre beauté ; elle a été l’instrument aveugle de la colère des dieux contre Troie. Cette tradition revêtit par la suite un caractère religieux. Manquer de respect envers la mémoire de l’héroïne devint un sacrilège. Le poète Stésichore, ayant parlé d’Hélène avec irrévérence dans un de ses poèmes, fut, dit-on, frappé de cécité ; mais, comme il se repentit aussitôt et répara sa faute dans une Palinodie, la déesse lui pardonna et lui rendit la vue. Plus tard, deux rhéteurs célèbres, Gorgias et Isocrate, rivalisèrent d’éloquence pour faire l’éloge d’Hélène ; le premier s’attacha à prouver qu’elle était innocente, qu’elle avait été enlevée de force par Pâris ; le second, plus habile et surtout plus artiste, lui fit une vertu de sa beauté : « Elle était belle, dit-il, entre toutes les femmes. Et la beauté n’est-elle pas ce qu’il y a sur la terre de plus auguste, de plus précieux, de plus divin ? » Euripide, Théocrite et d’autres poètes grecs ont parlé d’Hélène avec le même enthousiasme respectueux. Les Latins, moins sensibles à la beauté, n’ont guère vu en elle qu’une femme dévergondée. « La renommée de l’héroïne d’Homère n’est pas morte avec l’antiquité, a dit M. Chassang, dans une très-intéressante étude sur Hélène dans la poésie et dans l’art (le Spiritualisme et l’idéal, etc., 1868). Son éclat rayonne encore dans les temps modernes pour tous les poètes qui ont la prétention de conserver le culte de la beauté antique. » Gœthe, pour n’en citer qu’un, a accordé un rôle important à Hélène dans son Faust ; il en a fait une sorte de personnification de l’idéal classique.

Le plus souvent, néanmoins, dans la littérature moderne, plus sceptique, plus railleuse que celle des anciens, le nom d’Hélène est devenu synonyme de beauté séduisante, qui fascine et attire les vœux d’un grand nombre de prétendants. Les poètes l’emploient souvent, mais dans le style badin et par ironie :

L’enfant pleura, cria, fit tel sabbat,
Qu’on aurait dit une Hélène enlevée.
                         Vitalis.

Ils le font même servir figurément à désigner des femelles d’animaux :

Plus d’une Hélène au beau plumage
  Fut le prix du vainqueur.
                   La Fontaine.

Une Hélène a soufflé cette ardeur meurtrière ;
Plus d’un héros (il s’agit de coqs) pour elle a mordu la poussière.
                L. Racine.

Mais c’est surtout en prose que les écrivains se sont plu à faire intervenir Hélène et Ménélas chaque fois que leur sujet s’y prêtait, et malheureusement l’occasion s’est présentée trop souvent à leur malice. Hélène est devenue le type de la femme belle, d’une beauté irrésistible, mais légère et volage ; Ménélas, beaucoup moins bien partagé encore, est devenu, en quelque sorte, le patron de tous ceux qui voient leurs inconstantes moitiés regarder leurs serments conjugaux comme des billets souscrits à La Châtre, et se lancer dans les expéditions aventureuses avec un autre Pâris ; bref, on peut considérer le nom de Ménélas, comme un synonyme de cocu, pour peu que l’enlèvement figure dans l’affaire. Au reste, les exemples suivants indiqueront suffisamment dans quelle mesure se font ces sortes d’allusions, dont une mère prudente ne permettra jamais la lecture à sa fille :

« Les rapports entre Buckingham et lady Shrewsbury étaient devenus publics. Le pauvre Shrewsbury, trop honnête homme pour s’en plaindre à madame, voulut pourtant satisfaire son honneur. Il fit appeler le duc de Buckingham ; et le duc de Buckingham, pour réparation d’honneur, l’ayant tué, demeura
paisible possesseur de cette fameuse Hélène. Cela choqua d’abord le public ; mais le public s’accoutume à tout, et le temps sait apprivoiser la bienséance et même la morale. »
               Hamilton.

« La dame fut prise à Viterbe, lors de la
retraite des Français, et reprise avec la
place. Il y a dans son histoire quelque chose
de celle d’Hélène ; peut-être dans sa personne ;
mais plus sûrement dans le rôle que joue son
mari, qui est un plaisant Ménélas, court,
lourd et sourd, d’ailleurs ébloui, on peut
même dire aveuglé par les charmes de la
princesse. »
               P.-L. Courier.

« Le Français est l’Athénien d’aujourd’hui. Seulement, la France a été mieux dotée que la Grèce sous le rapport de la femme. Phidias et Praxitèle eussent taillé dix Vénus, dix Minerves et dix Dianes dans une seule Velléda. Si la Grèce a fait tant de bruit de l’enlèvement de sa belle Hélène, c’est la preuve sans réplique qu’elle n’avait que celle-là. Il se passe peu de jours en France sans qu’un Ménélas ou deux ne perdent leur Hélène ; le peuple ne s’en émeut pas, sachant qu’il en a de rechange. »
               Toussenel.

« Dans le bourg de Tangen vivait une
brillante colonie de cigognes. Or, l’adultère
entra dans un des ménages de la tribu ailée,
et le Ménélas outragé tira de son Hélène une
vengeance éclatante. L’infidèle choisissait
d’ordinaire, pour se livrer à ses honteux
écarts, le moment où son époux s’absentait
du domicile conjugal pour aller chercher de
la nourriture à ses petits ; mais il erriva qu’un
jour celui-ci revint au logis un peu plus tôt
qu’on ne l’attendait, et avant que sa coupable
moitié eût eu le temps de réparer le désordre
de sa toilette. »
              Toussenel.

« Je ne succombai point encore sous le poids
de ce nouveau malheur, et, plus sage que
Ménélas, au lieu de m’armer contre le Pâris »