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RACINE.

où l’idée se répand sur une longue suite de vers, soit le vers unique, qui frappe et s’enfonce, ferme et brillant. Il coupe d’habitude le vers à l’hémistiche et met à la rime une conclusion ou un repos, mais il offre la plupart des hardiesses, césures ou enjambements qu’admettait la poésie du xviie siècle.

« Racine a bien de l’esprit », disait Louis XIV à Mme de Sévigné, après une représentation d’Esther. Le mot est remarquablement juste, au sens où l’entendait le xviie siècle. Il ne veut plus dire aujourd’hui que vivacité brillante et piquante ; il était alors synonyme d’art et de talent. Il désignait ce mélange de réflexion et d’adresse, de convenance et de tact, qui ne remplace pas le génie, mais donne à l’œuvre où le génie se trouve un caractère d’aisance, d’harmonie et de perfection. Racine avait autant d’esprit que Corneille en avait peu. C’est grâce à l’esprit qu’il conduit ses phrases d’un mouvement sûr, accéléré ou ralenti selon les besoins de la pensée, qu’il distribue l’ombre et la lumière, coupe le dialogue d’après la nature de l’action, met ses monologues en situation, reflète dans ses récits l’âme de ses personnages. Il n’est jamais brusque ou inégal ; tout arrive au moment voulu et se range à sa place. Il évite les effets de surprise, autant que Corneille les recherche. Il prépare et amène. De là cette perfection continue où le relief s’atténue par l’égalité de l’excellent, mais qui regagne dans l’effet général ce qu’elle semble perdre dans le détail. À peine si, de temps en temps, cette égalité produit quelque monotonie ; si le souci de la liaison, dans le développement comme dans la phrase, oblige le poète à