Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/115

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fusion arrivés subitement au-dessus de sa tête, et, sur ce qu’il apprit, il eut la fantaisie d’aller voir le monstre marin : il monta sur la dunette, et s’étant approché de trop près, un effort de l’animal, qui renversa quatre ou cinq matelots, faillit lui casser les jambes ; il descendit, le bas gauche tout couvert de sang ; nous le crûmes blessé ; ce n’était que le sang du requin.

Venons aux livres hostiles que je parcourais à bord. On fait peu d’attention aux pamphlétaires, parce que leur caractère est le contrepoison de leurs paroles ; il n'en est pas de même d’un historien : toutefois celui-ci s’en rapproche, si, s’écartant du calme et de l’impartialité obligés de son ministère, il s’abandonne à la déclamation, et laisse percer le fiel. Tel est le sentiment que me laissèrent diverses productions du général Wilson. Cet auteur nous était d’autant plus préjudiciable, que ses talents, sa bravoure, ses nombreux et brillants services, lui donnaient plus de poids aux yeux de ses concitoyens. Une circonstance concourait à rendre ses œuvres plus particulièrement connues à bord du vaisseau, et faisait qu’on nous en parlait davantage ; il avait un de ses enfants au nombre des jeunes aspirants du vaisseau ; et, à ce sujet, mon fils que la similitude d’âge tenait la plupart du temps au milieu d’eux, put voir à son aise le changement qui s’opéra dans ces jeunes têtes à notre égard. Tous ces enfants nous étaient naturellement très défavorables : ils croyaient, en recevant l’Empereur, n’avoir embarqué rien moins que l’ogre capable de les dévorer ; mais bientôt le voisinage et la vérité exercèrent sur eux la même influence que sur le reste du vaisseau, et ce fut aux dépens du petit Wilson, à qui les camarades donnaient la chasse, en expiation, disaient-ils, de toutes les histoires de son père.

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Ici, dans mon manuscrit, commençait le bâtonnage d’un grand nombre de feuillets ; le motif en était exprimé en marge, ainsi qu’il suit :

« J’avais recueilli un grand nombre de griefs dans l’ouvrage du général Wilson, auxquels je répondais peut-être à mon tour avec un peu d’amertume ; une circonstance récente me les fait supprimer.

« M. Wilson vient de paraître avec éclat dans une cause touchante, qui honore le cœur de ceux qu’elle a compromis : le salut de Lavalette. Interpellé devant un tribunal français s’il n’avait pas jadis publié des ouvrages sur nos affaires, il a répondu que oui, et qu’il y avait exprimé ce qu’il croyait vrai alors. Ce mot en dit plus que tout ce que j’aurais pu faire, et je me suis hâté d’effacer ce que j’avais écrit, heureux de devenir