Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/175

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et comme découragé par la victoire même. Toutefois Napoléon dit, dans sa dictée, que c’est Augereau surtout qui décida de la journée de Castiglione, et que, quelques torts que l’Empereur eût à lui reprocher par la suite, le souvenir de ce grand service national lui demeura constamment présent, et triompha de tout.

Serrurier, qui avait conservé toutes les formes de la sévérité d’un ancien major d’infanterie ; honnête homme, probe, sûr, mais général malheureux.

Steingel, qui possédait si éminemment toutes les qualités d’un général d’avant-garde.

Laharpe, grenadier par le cœur comme par la taille, qui périt si malheureusement. Vaubois, etc., etc.

Dans divers objets de la conversation du jour, je note ce que l’Empereur disait sur les armées des anciens. Il se demandait si l’on devait croire aux grandes armées dont il est question dans l’histoire. Il pensait que la plus grande partie des citations était fausse et ridicule. Ainsi il ne croyait pas aux innombrables armées des Carthaginois en Sicile. « Tant de troupes, observait-il, eussent été inutiles dans une aussi petite entreprise ; et si Carthage eût pu en réunir autant, on en eût vu davantage dans l’expédition d’Annibal, qui était d’une bien autre importance, et qui pourtant n’avait pas au-delà de quarante à cinquante mille hommes. » Ainsi il ne croyait point aux millions d’hommes de Darius et de Xercès, qui eussent couvert toute la Grèce, et se seraient sans doute subdivisés en une multitude d’armées partielles. Il doutait même de toute cette partie brillante de l’histoire de la Grèce ; il ne voyait, dans le résultat de cette fameuse guerre persique, que de ces actions indécises où chacun s’attribue la victoire. Xercès s’en retourna triomphant d’avoir pris, brûlé, détruit Athènes ; et les Grecs exaltèrent leur victoire de n’avoir pas succombé à Salamine. « Quant aux détails pompeux des victoires des Grecs et des défaites de leurs innombrables ennemis, qu’on n’oublie pas, observait l’Empereur, que ce sont les Grecs qui le disent, qu’ils étaient vains, hyperboliques, et qu’aucune chronique de Perse n’a jamais été produite pour assurer notre jugement par un débat contradictoire. »

Mais l’Empereur croyait à l’histoire romaine, sinon dans tous ses détails, du moins dans ses résultats, parce qu’ils étaient des faits aussi patents que le soleil. Il croyait encore aux armées de Gengiskan et de Tamerlan, quelque nombreuses qu’on les ait prétendues, parce qu’ils traînaient à leur suite des peuples nomades entiers qui se grossissaient encore d’autres peuples dans leur route ; et il ne serait pas impossible, disait l’Empereur,