Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/177

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l’allée inférieure devenue le lieu favori, je lui dis qu’une personne importante, dont les idées, les récits pouvaient être notre intermédiaire avec le monde régulateur, et influer sur notre destinée future, avait, avec des formes et des préalables assez significatifs, interpellé l’un de nous de lui dire en conscience ce qu’il croyait de l’Empereur, touchant certains objets politiques ; s’il avait donné sa dernière constitution avec la véritable intention de la maintenir ; s’il avait renoncé de bonne foi à ses anciens projets du grand empire ; s’il consentirait à laisser l’Angleterre jouir de la suprématie maritime ; s’il ne lui envierait pas la tranquille possession de l’Inde ; s’il ne se prêterait pas à renoncer aux colonies, et à acheter des Anglais seuls les denrées coloniales au véritable prix du commerce ; s’il ne s’unirait pas aux Américains, dans le cas de leur rupture avec l’Angleterre ; s’il ne consentirait pas à l’existence d’un grand royaume en Allemagne, pour la maison d’Angleterre qui va perdre incessamment celui de la Grande-Bretagne, lors de l’accession au trône de la jeune princesse de Galles, ou, au défaut de l’Allemagne, s’il ne consentirait pas à laisser établir cette domination en Portugal, au cas que l’Angleterre s’en arrangeât avec la cour du Brésil, etc.

Ces questions ne reposaient pas sur des idées vagues ou des opinions oiseuses ; le personnage les appuyait sur des faits positifs : « Nous avons besoin, disait-il, d’une paix longue et durable sur le continent ; d’une jouissance paisible de nos avantages actuels pour sortir de la crise financière où nous sommes, et alléger la dette incommensurable sous laquelle nous courbons : or, l’état présent de la France, ajoutait-il, celui de l’Europe ne sauraient, avec les éléments actuels, nous procurer ce résultat.

Notre victoire de Waterloo vous a perdus ; mais elle est loin de nous avoir sauvés ; tous les hommes de bon sens, chez nous, tous ceux qui peuvent échapper à l’influence momentanée des passions, le pensent ou penseront ainsi, etc., etc. »

L’Empereur doutait d’une partie de ce récit, et traitait le reste de rêverie ; puis se ravisant, il me dit : « Eh bien ! votre opinion ? Allons, Monsieur, vous voilà au Conseil d’État ! – Sire, disais-je, on se permet souvent de rêver sur les matières les plus graves, et, pour être emprisonné à Sainte-Hélène, il n’est pas défendu de composer des romans ; j’en vais donc faire un. Pourquoi pas un mariage politique des deux peuples, où l’importerait l’armée en dot et l’autre la flotte ? idée folle sans doute aux yeux du vulgaire, trop hardie peut-être aux yeux des gens plus exercés, et cela parce qu’elle est tout à fait neuve et hors de