Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/179

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lettres pour l’Europe ; un bâtiment allait partir. J’y rencontrai l’officier chargé de notre garde. Frappé de l’état d’affaissement où j’avais vu l’Empereur la veille, et du besoin extrême qu’il avait de prendre quelque exercice, je dis à cet officier que je soupçonnais le motif qui empêchait l’Empereur de sortir à cheval, que j’allais lui parler avec franchise, et avec d’autant plus de facilité que j’appréciais tout à fait la manière délicate dont il remplissait son office auprès de nous. Je lui demandai donc quelles étaient ses instructions, et ce qu’il ferait si l’Empereur venait à se promener à cheval autour de la maison, lui faisant sentir la répugnance qu’il devait naturellement avoir pour tout ce qui était propre à lui rappeler à chaque instant la réclusion où il se trouvait ; l’assurant, du reste, qu’il n’y avait rien qui lui fût personnel, et que si l’Empereur avait envie d’entreprendre de longues courses, j’étais persuadé qu’il le ferait demander de préférence pour en être accompagné. L’officier me répondit que ses instructions étaient de suivre l’Empereur ; mais que, se faisant une loi de lui être le moins désagréable possible, il prenait sur lui de ne pas l’accompagner.

À déjeuner, je fis part à l’Empereur de ma conversation avec le capitaine. Il me répondit que c’était bien à lui sans doute, mais qu’il n’en profiterait pas, n’étant pas dans ses principes de jouir d’un avantage qui pourrait compromettre un officier.

Cette détermination fut trop heureuse : entrés le soir-chez nos hôtes, le capitaine me prit à part pour me dire qu’ayant été à la ville dans la journée parler à l’amiral de notre conversation du matin, il lui avait été enjoint de se conformer à ses instructions. Je ne pus m’empêcher de répondre avec vivacité que j’étais sûr que l’Empereur allait ordonner le renvoi immédiat des trois chevaux qu’on avait mis à notre disposition. L’officier, auquel je fis connaître, du reste, la réponse que l’Empereur m’avait faite le matin à son sujet, me dit qu’il pensait aussi que c’était très bien de renvoyer les chevaux, qu’il n’y avait rien de mieux à faire ; réponse que je crus dictée par l’humeur qu’il éprouvait lui-même du rôle qu’on lui imposait.

En sortant de chez nos hôtes, l’Empereur continua de se promener dans l’allée. Je lui appris ce que venait de me dire l’officier anglais. On eût dit qu’il s’y attendait ; mais je ne m’étais pas trompé, il m’ordonna de faire renvoyer les chevaux. Comme ce contretemps m’avait été fort sensible, je lui dis, avec un peu de vivacité peut-être, que s’il me le permettait j’allais rentrer auprès de l’officier pour qu’il eût à remplir sa volonté sur-le-champ. À quoi il répondit, avec une gravité et un son de voix tout par-