Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nons qu’ils venaient de découvrir dans des barques, et qu’ils appelaient une contre-révolution, je me permis d’ouvrir, fort mal à propos, l’avis de s’assurer de ces canons en leur faisant prêter le serment civique, ce qui était partout alors l’acte du jour. Mon impertinence faillit me faire pendre. Vous voyez, Sire, que j’aurais pu, au besoin, et dans cet instant-là même, balancer votre compte, s’il vous fût arrivé malheur parmi vos aristocrates. » Ce rapprochement bizarre ne fut pas le seul de la soirée : l’Empereur m’ayant raconté une anecdote intéressante de 1788, me dit : « Vous, où pouviez-vous être alors ? – Sire, répondis-je après quelques secondes de recherches, à la Martinique, soupant tous les soirs à côté de la future impératrice Joséphine. »

La pluie vint, il a fallu quitter cette allée, qui peut-être un jour, disait l’Empereur, ne reviendra pas sans charmes dans notre souvenir. « Cela peut être, observais-je, mais assurément ce ne sera pas sans l’avoir quittée. »


Sur le faubourg Saint-Germain, etc. – L’Empereur sans préjugés, sans fiel, etc. – Paroles caractéristiques.


Jeudi 16.

Aujourd’hui l’Empereur s’informait du faubourg Saint-Germain ; il me questionnait sur ce dernier boulevard, disait-il, de la vieille aristocratie, ce refuge encroûté des vieux préjugés ; la ligue germanique, ainsi qu’il l’appelait. Je lui disais qu’avant les derniers revers, son pouvoir y avait pénétré de toutes parts ; il se trouvait envahi, il n’en restait plus que le nom ; il avait été ébranlé, vaincu par la gloire ; les victoires d’Austerlitz et d’Iéna, le triomphe de Tilsit, l’avaient conquis. Les jeunes gens, tous les cœurs généreux, n’avaient pu être insensibles au lustre de la patrie. Son mariage avec Marie-Louise avait porté le dernier coup ; il n’y avait plus eu d’autres mécontents que ceux dont l’ambition était non satisfaite, ce qui se retrouve dans toutes les classes et dans tous les temps ; ou bien encore quelques vieillards intraitables ou de vieilles femmes pleurant leur influence passée. Tous les gens raisonnables et sensés avaient plié sous les talents supérieurs du chef de l’État, et cherchaient à se consoler de leurs pertes, dans l’espoir d’un meilleur avenir pour leurs enfants ; vers ce point se tournaient désormais toutes leurs illusions. Ils savaient gré à l’Empereur de sa partialité pour les anciens noms ; tout autre, convenaient-ils, eût achevé de les anéantir. Ils mettaient du prix à la confiance avec laquelle l’Empereur s’était entouré d’eux, ils lui tenaient compte d’avoir dit, en se saisissant de leurs enfants pour l’armée : « Ces