Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/196

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noms appartiennent à la France, à l’histoire ; je suis le tuteur de leur gloire, je ne les laisserai pas périr. » Ces mots et d’autres semblables lui avaient fait un grand nombre de prosélytes.

L’Empereur disait en ce moment que ce parti n’avait peut-être pas été assez caressé. « Mon système de fusion le demandait, et je l’avais voulu, ordonné même ; mais les ministres, les grands intermédiaires, n’ont jamais bien rempli mes véritables intentions à cet égard, soit qu’ils n’y vissent pas plus loin, soit qu’ils craignissent d’amener ainsi des rivaux de faveur, et de diminuer leurs chances. M. de Talleyrand surtout s’y était toujours montré contraire et n’avait jamais cessé de combattre l’ancienne noblesse dans ma bienveillance et ma pensée. » Je lui faisais la remarque pourtant que le grand nombre de ceux qu’il avait appelés s’étaient bientôt montrés attachés à sa personne ; qu’ils l’avaient servi de bonne foi, et étaient en général demeurés fidèles au moment de la crise. L’Empereur n’en disconvenait pas, et allait même jusqu’à dire que le roi revenu, et lui ayant abdiqué, cette double circonstance avait dû beaucoup influer sur certaines doctrines ; qu’aussi, dans son jugement, il mettait une grande différence dans la même conduite tenue en 1814 ou en 1815.

Et ici je dois dire que depuis que j’apprends à connaître l’Empereur, je ne lui ai jamais vu encore un seul moment de colère ou d’animosité contre aucun de ceux qui se sont le plus mal conduits à son égard. Il ne s’exalte pas sur ceux dont on lui vante la belle conduite : ils avaient fait leur devoir. Il ne s’emporte pas contre ceux qui se sont rendus si coupables ; il les avait en partie devinés ; ils avaient cédé à leur nature ; il les peignait froidement, sans fiel ; attribuait une partie de leur conduite aux circonstances, qu’il confessait avoir été bien difficiles ; rejetait le reste sur les faiblesses humaines. « La vanité avait perdu Marmont ; la postérité flétrira justement sa vie, disait-il ; pourtant son cœur vaudra mieux que sa mémoire. Augereau devait sa conduite à son peu de lumières et à son mauvais entourage ; Berthier à son manque d’esprit et à sa nullité, etc. »

Je faisais observer que ce dernier avait laissé échapper la plus belle occasion, la plus facile de s’illustrer à jamais, celle d’aller présenter de bonne foi ses soumissions au roi, et de le supplier de trouver bon qu’il allât dans la solitude pleurer celui qui l’avait honoré du titre de son compagnon d’armes et l’avait appelé son ami. « Eh bien ! quelque simple que fût cette marche, disait l’Empereur, elle était encore au-dessus de ses forces. – Ses moyens, sa capacité avaient toujours été un objet de discussion parmi nous, disais-je alors ; le choix de Votre Majesté, votre