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Napoléon mange très irrégulièrement et en général fort peu. Il répète souvent qu’on peut souffrir de trop manger, jamais d’avoir mangé trop peu. Il est homme à rester vingt-quatre heures sans manger, seulement pour se donner de l’appétit le lendemain. Il boit bien moins encore ; un seul verre de vin de Madère ou de Champagne suffit pour réveiller ses forces ou lui donner de la gaieté. Il dort fort peu, et à des heures très irrégulières ; se relevant au premier réveil pour lire ou pour travailler, et se recouchant pour redormir encore.

L’Empereur ne croit pas à la médecine, il ne prend jamais aucun remède. Il s’est créé un traitement particulier : son grand secret avait été depuis longtemps, disait-il, de commettre un excès en sens opposé à son habitude présente ; c’est ce qu’il appelle rappeler l’équilibre de la nature : s’il était depuis quelque temps en repos, il faisait subitement une course de soixante milles, une chasse de tout un jour.

S’il se trouvait au contraire surpris au milieu de très grandes fatigues, il se condamnait à vingt-quatre heures de repos absolu. Cette secousse imprévue lui causait infailliblement une crise intérieure qui amenait aussitôt le résultat désiré ; cela, disait-il, ne lui avait jamais manqué.

L’Empereur a la lymphe trop épaisse, son sang circule difficilement. La nature l’a doué de deux avantages bien précieux, dit-il : l’un est de s’endormir dès qu’il a besoin de repos, à quelque heure et en quelque lieu que ce soit ; l’autre, de ne pouvoir commettre d’excès nuisible dans son boire ou dans son manger : « Si je dépassais le moindrement mon tirant d’eau, disait-il, mon estomac rendrait aussitôt le surplus. » Il vomit très facilement, une simple toux d’irritation suffit pour lui faire rendre son dîner.


Continuation de la vie de Briars, etc. – Ma première visite à Longwood – Machine infernale, son historique.


Dimanche 26 au mardi 28.

Le 26, l’Empereur s’est habillé de très bonne heure, il était tout à fait bien ; il avait voulu sortir ; le temps était charmant, et d’ailleurs sa chambre n’avait pas été faite depuis trois jours. Nous avons été dans le jardin, où il a voulu déjeuner sous le berceau ; il se trouvait fort gai, et sa conversation a parcouru beaucoup d’objets et de personnes.

L’Empereur, tout à fait rétabli, reprit ses occupations ordinaires : elles étaient sa seule ressource ; sa chambre, la lecture, la dictée, le jardin, devaient remplir toute sa journée ; quelquefois encore l’allée inférieure, dont une nouvelle saison ou l’état de la lunaison nous bannissait insensiblement. Les nombreuses visites que la curiosité attirait chez