Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/258

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quelqu’un auquel il donnerait le droit de dire à faux : L’Empereur m’a dit cela ; car l’Empereur n’aurait pris même la ressource d’affirmer que non. Un témoignage en vaut un autre ; il faut donc de nécessité qu’il emploie quelqu’un qui puisse dire au narrateur qu’il ment dans ce qu’il lui fait dire, et qu’il est prêt à lui rendre raison de son expression, ce que l’Empereur ne saurait faire. »

La lettre de M. de Montholon était vive, la réponse fut injurieuse et brutale : On ne connaissait pas telle chose à Sainte-Hélène qu’un Empereur ; la justice et la modération du gouvernement anglais à notre égard seraient l’admiration des âges futurs, etc., etc… La philosophie seule devait nous tenir lieu de ressentiment : toute satisfaction était hors de notre pouvoir ; adresser une plainte directe au prince régent, c’eût été ménager peut-être à celui qui nous offensait un titre méritoire ; et puis il ne pouvait exister de plainte de l’empereur adressée à qui que ce fût sur la terre ; il n’était plus pour lui, à cet égard, d’autre tribunal que Dieu, les nations et la postérité ;

Le 23, la frégate la Doris est arrivée du Cap : elle apportait sept chevaux qui y avaient été achetés pour l’Empereur.


Mépris de l’Empereur pour la popularité ; ses motifs, ses arguments, etc. – Sur ma femme – La mère et la sœur du général Gourgaud.


Dimanche 24.

L’Empereur lisait quelque chose où on le faisait parler avec trop de bonté ; il s’est récrié sur l’erreur de l’écrivain : « Comment a-t-on pu me faire dire cela ? C’est trop tendre, trop doucereux pour moi ; on sait bien que je ne le suis pas. – Sire, disais-je, on a eu une bonne intention ; la chose est innocente en elle-même, et a pu produire un bon résultat au-dehors. Cette réputation de bonté, que vous semblez vouloir dédaigner, eût pu avoir un poids immense sur l’opinion ; elle eût prévenu du moins les couleurs dont un système en Europe a faussement peint Votre Majesté aux yeux des peuples. Votre cœur, que je connais à présent, est certainement aussi bon que celui de Henri IV, que je n’ai pas connu ; eh bien ! sa bonté est encore proverbiale ; il est demeuré une idole, et je soupçonne que Henri IV était un tant soit peu charlatan ; pourquoi Votre Majesté a-t-elle dédaigné de l’être aussi ? Elle montre trop d’horreur pour cette espèce de moyen. Après tout, c’est le charlatanisme qui gouverne le monde ; heureux toutefois quand il n’est qu’innocent ! »

L’Empereur s’est mis à rire de ce qu’il appelait mon verbiage. Mon cher, qu’est-ce que la popularité, la débonnaireté ? disait-il. Qui fut plus