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se trouvaient sous la protection des lois britanniques ; et le peuple de ce pays aimait trop la gloire pour manquer une occasion qui se présentait naturellement, et devait former les plus belles pages de son histoire. On résolut donc de se rendre à la croisière anglaise sitôt que Maitland aurait exprimé positivement l’ordre de nous recevoir. On retourna vers lui ; le capitaine Maitland exprima littéralement qu’il avait autorité de son gouvernement de recevoir l’Empereur, s’il voulait venir à bord du Bellérophon, et de le conduire, ainsi que sa suite, en Angleterre[1]. Alors l’Empereur s’y rendit, non qu’il y fût contraint par les évènements, puisqu’il pouvait rester en France, mais parce qu’il voulait vivre en simple particulier, qu’il ne voulait plus se mêler des affaires, et surtout ne pas compliquer celles de la France. Certes, il n’eût pas pris ce parti s’il eût pu soupçonner l’indigne traitement qu’on lui ménageait ; chacun en demeurera facilement convaincu. Sa lettre au prince régent publie assez hautement sa confiance et sa persuasion ; le capitaine Maitland, à qui elle a été officiellement communiquée avant que l’Empereur se rendît à son bord, n’y ayant fait aucune observation, a, par cette seule circonstance, reconnu et consacré les sentiments qu’elle renfermait.


Ouessant – Côtes d’Angleterre.


Dimanche 23.

À quatre heures du matin, nous vîmes Ouessant, que nous avions dépassé dans la nuit. Depuis que nous approchions de la Manche, nous apercevions à chaque instant des vaisseaux anglais ou des frégates allant ou venant dans toutes les directions. À la nuit, nous étions en vue des côtes d’Angleterre.


Mouillage à Torbay.


Lundi 24.

Vers les huit heures du matin, nous jetâmes l’ancre dans la rade de Torbay. L’Empereur, levé dès six heures du matin, monté sur la dunette, observait les côtes et les préparatifs du mouillage. Je ne le quittais pas, pour lui fournir toutes les explications relatives.

Le capitaine Maitland expédia aussitôt un courrier à lord Keith, son

  1. Quatre ans après la publication du Mémorial et dix ans après l’évènement, le capitaine Maitland a publié la relation de l’embarquement et du séjour de Napoléon à bord de son vaisseau. Parfaitement d’accord avec le Mémorial sur presque tous les points, le capitaine Maitland a différé sur un seul, le peu de bonne foi employé vis-à-vis de nous, dont on était résolu de se rendre maître à tout prix.
    C’est ce qu’a fait ressortir d’une manière victorieuse l’un des ornements de notre barreau, M. Barthe, plus tard, après la révolution de 1830, ministre de la justice et garde des sceaux à différentes reprises.