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nellement quelques notes pour ses dictées au grand maréchal. Il s’y est trouvé une citation dont jadis j’avais entretenu l’Empereur, qu’il avait jusque-là regardée comme absurde. Le grand Alburquerque proposait au roi de Portugal de détourner le Nil, ayant son entrée dans la vallée d’Égypte, et de le rejeter dans la mer Rouge, ce qui eût rendu l’Égypte un désert impraticable, et consacré le cap de Bonne-Espérance pour la route unique du grand commerce des Indes. Bruce ne croit pas cette gigantesque idée entièrement impossible, elle frappait singulièrement l’Empereur.

Sur les cinq heures, l’Empereur est monté en calèche, la promenade a été extrêmement agréable ; la précaution d’avoir fait abattre quelques arbres a triplé l’espace primitif, en créant plusieurs circuits naturels. Au retour, on a profité de la belle soirée pour se promener longtemps dans le jardin ; la conversation a été des plus intéressantes, les sujets étaient grands et profonds : c’était sur les diverses religions, l’esprit qui les avait dictées ; les absurdités, les ridicules dont on les avait entremêlées, les excès qui les avaient dégradées, les objections qu’on leur avait opposées : l’Empereur a traité tous ces objets avec sa supériorité ordinaire.


Uniformité – Ennui – Solitude de l’Empereur – Caricatures.


Dimanche 11.

L’Empereur a lu aujourd’hui l’article Égypte, en anglais, dans l’Encyclopédie britannique, et en a recueilli des notes qui ne laissent pas que de lui être utiles pour sa campagne d’Égypte. Cette circonstance lui est très agréable, et lui fait répéter plusieurs fois le jour combien il se trouve heureux de ses progrès ; il est de fait qu’il peut maintenant lire tout seul.

Sur les quatre heures, j’ai suivi l’Empereur dans le jardin. Nous y avons marché seuls pendant quelque temps : bientôt après on est venu nous rejoindre. La température était fort douce. L’Empereur a fait observer le calme de notre solitude : c’était dimanche, tous les ouvriers étaient au loin. Il a ajouté qu’on ne nous accuserait pas du moins de dissipation ni d’ardentes poursuites des plaisirs ; en effet, il est difficile d’imaginer plus d’uniformité et plus d’absence de toute diversion.

L’Empereur soutient cette situation d’une manière admirable ; il nous surpasse tous de beaucoup par l’égalité de son caractère et la sérénité de son humeur. Il était difficile d’être plus sage et plus tranquille que lui, remarquait-il. Il se couchait à dix heures, ne se levait ou plutôt ne paraissait qu’à cinq ou six heures du soir. Sa vie extérieure n’était donc