Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/398

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oreille. Cet empire, quelque délabré qu’il parût, devait demeurer notre point de séparation à tous deux : c’était le marais qui empêchait de tourner ma droite. Pour la Grèce, c’est autre chose ! » Et après s’être arrêté sur ce pays, il a repris : « La Grèce attend un libérateur !… Ce serait une belle couronne de gloire !… Il inscrira son nom à jamais avec ceux d’Homère, Platon et Épaminondas !… Je n’en ai peut-être pas été loin !… Quand, dans ma campagne d’Italie, j’arrivai sur les bords de l’Adriatique, j’écrivis au Directoire que j’avais sous mes yeux le royaume d’Alexandre !… Plus tard je liai des relations avec Aly-Pacha ; et quand on nous a saisi Corfou, on aura dû y trouver des munitions et un équipement complet pour une armée de quarante à cinquante mille hommes. J’avais fait lever les cartes de la Macédoine, de la Servie, de l’Albanie.

« La Grèce, le Péloponèse du moins, doit être le lot de la puissance européenne qui possédera l’Égypte : ce devait être le nôtre… Et puis, au nord, un royaume indépendant, Constantinople avec ses provinces, pour servir comme de barrage à la puissance russe, ainsi qu’on a prétendu le faire à l’égard de la France en créant le royaume de la Belgique. »

Dans une autre de ces soirées, l’Empereur déclamait contre l’humeur des femmes : Car rien, disait-il, n’annonçait plus chez elle le rang, la bonne éducation, le bon ton, que l’égalité de leur caractère et le constant désir de plaire. Il ajoutait qu’elles étaient tenues à se montrer toujours maîtresses d’elles-mêmes, à être toujours en scène. Ses deux femmes, nous disait-il, avaient toujours été ainsi ; elles étaient assurément bien différentes dans leurs qualités et leurs dispositions ; toutefois elles s’étaient ressemblées tout à fait sur ce point. Jamais il n’avait été témoin de la mauvaise humeur de l’une ou de l’autre ; toutes deux avaient été constamment occupées à lui plaire, etc…

Quelqu’un a osé observer pourtant que Marie-Louise s’était vantée que toutes les fois qu’elle voulait quelque chose, si difficile que cela fût, elle n’avait qu’à pleurer. L’Empereur en a ri ; c’était pour lui, disait-il, une découverte : il aurait pu le soupçonner de Joséphine, mais il ne le savait pas de Marie-Louise. Et puis s’adressant à mesdames Bertrand et Montholon : « Vous voilà bien, Mesdames, leur dit-il ; sur certaines choses, vous êtes toutes les mêmes. »

Il a continué longtemps sur les deux impératrices, et a répété, suivant sa coutume, que l’une était l’innocence et l’autre les grâces. Il est passé de là à ses sœurs, et surtout s’est arrêté particulièrement et longtemps