Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/426

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tilé : « Ah ! l’horreur, s’est-il écrié ; bien certainement je n’accepte pas l’augure, et je suis même loin de le souhaiter… Je ne lui en veux pas à ce point. »

Je n’aurais eu garde d’omettre cette circonstance, quelque petite qu’elle soit, tant elle est caractéristique sous bien des rapports. Aussi, l’Empereur retiré dans son appartement, nous y revînmes entre nous. Quelle gaieté, quelle liberté d’esprit dans son horrible infortune ! nous disions-nous. Quel calme de cœur ! quelle absence de fiel, d’irritation, de haine ! Qui reconnaîtrait là celui que l’inimitié, le mensonge se sont plu à désigner si monstrueusement ? Qui même des siens l’a bien connu, ou a cherché à le faire bien connaître ?

Dans une autre soirée, l’Empereur parlait de ses premières années dans l’artillerie et de ses camarades de table : c’est un temps sur lequel il revient souvent avec un grand plaisir. On lui cita un de ses commensaux qui, ayant été préfet du même département sous lui et sous le roi, n’avait pu obtenir de le demeurer encore à son retour. L’Empereur, cherchant à se le rappeler, a dit ensuite que cette personne avait, à une certaine époque, manqué sa fortune auprès de lui. Que quand il devint commandant de l’armée de l’intérieur, il l’avait comblé, l’avait fait son aide de camp, et projetait d’en faire un homme de confiance ; mais cet aide de camp tant favorisé avait été fort mal pour lui, au moment du départ pour l’armée d’Italie : il avait alors abandonné son général pour le Directoire. « Néanmoins, disait l’Empereur, une fois sur le trône, il eût encore pu beaucoup sur moi, s’il eût su s’y prendre. Il avait le droit des premières années, qui ne se perd jamais. Je n’eusse certainement pas résisté à une surprise dans un rendez-vous de chasse, par exemple, ou à toute autre demi-heure de conversation sur les temps passés ; j’aurais oublié ce qu’il m’avait fait ; il ne m’importait plus s’il avait été de mon parti ou non, je les avais désormais réunis tous. Ceux qui avaient la clef de mon caractère savaient bien cela ; ils savaient qu’avec moi, dans quelque disposition que je fusse contre eux, c’était comme au jeu de barres, la partie était gagnée aussitôt qu’on avait pu toucher le but. Aussi n’avais-je d’autre moyen, si je voulais résister, que de refuser de les voir. »

Il nous disait d’un autre ancien camarade qu’avec de l’esprit et les qualités convenables il eût pu tout auprès de lui. Il ajoutait qu’avec moins de cupidité un troisième n’eût jamais été éloigné par lui.

Au sujet du lustre de la puissance impériale, le grand maréchal dit alors que, quelque grand, quelque resplendissant que l’Empereur lui eût