Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/427

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paru sur le trône, jamais il ne lui avait laissé une impression supérieure, peut-être même égale, à celle que lui avait faite sa situation à la tête de l’armée d’Italie. Il développait et prouvait assez bien sa pensée, et l’Empereur ne l’écoutait pas sans une espèce de complaisance. Cependant, remarquions-nous, que de grands évènements depuis ! que d’élévation ! que de grandeur ! que de renommée par toute la terre ! L’Empereur écoutait. « Eh bien, a-t-il dit, malgré tout cela, Paris est si grand, et renferme tant de gens de toute espèce, et quelques-uns tellement bizarres, que je suppose qu’il en est qui ne m’ont jamais vu, et qu’il peut en être d’autres à qui mon nom même n’est jamais parvenu. Ne le pensez-vous pas, nous disait-il ? » Et il fallait voir avec quelle bizarrerie lui-même, avec quelles ressources d’esprit il développait alors cette assertion qu’il savait mauvaise. Nous nous sommes tous récriés fortement que quant à son nom, il n’était pas de ville et de village en Europe, peut-être même dans le monde, où il n’eût été prononcé. Quelqu’un a ajouté : « Sire, avant de revenir en France, à la paix d’Amiens, Votre Majesté n’étant encore que Premier Consul, je voulus parcourir le pays de Galles, comme une des portions les plus extraordinaires de l’Angleterre. Je gravis des sommités tout à fait sauvages et d’une hauteur prodigieuse ; j’atteignis des chaumières que je croyais appartenir à un autre univers. En entrant dans une de ces solitudes éloignées, je disais à mon compagnon de voyage : C’est ici qu’on doit trouver le repos et échapper au bruit des révolutions. Le maître, nous soupçonnant Français à notre accent, nous demanda aussitôt des nouvelles de France, et ce que faisait son premier consul Bonaparte. »

– « Sire, dit un autre de nous, nous avons eu la curiosité de demander aux officiers de la Chine si nos affaires européennes étaient arrivées jusqu’à cet empire. Sans doute, nous ont-ils répondu, confusément à la vérité, parce que cela ne les intéresse nullement ; mais le nom de votre Empereur y est célèbre et associé aux grandes idées de conquête et de révolution ; précisément comme ont pénétré chez nous les noms de ceux qui ont changé la face de cette partie du monde : les Gengiskan, les Tamerlan, etc. »

La publication du Mémorial a porté beaucoup de personnes à me fournir des renseignements sur des faits dont ils avaient été acteurs ou témoins. Et au sujet de l’universelle célébrité de Napoléon, dont il est ici question, l’un a dit qu’après Waterloo et la dissolution de l’armée, ayant été cherché du service en Perse, et se trouvant admis à l’audience du souverain, le premier objet qui avait frappé ses regards avait été le por-