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Jeudi 4 avril.

J’ai été trouvé l’Empereur, sur les cinq heures, dans le jardin ; il avait pris un bain trop chaud, et il en souffrait. Nous avons été en calèche ; le temps était magnifique ; depuis plusieurs jours il est fort chaud et très sec. Napoléon a travaillé avant le dîner avec le grand maréchal, dont la femme dînait chez l’amiral. L’Empereur est rentré de suite après le dîner dans sa chambre.


Traits caractéristiques.


Vendredi 5 au lundi 8.

Tous ces différents jours, l’Empereur est monté à cheval sur les six à sept heures du matin, n’emmenant que moi et mon fils.

Je puis affirmer que je n’ai jamais surpris dans Napoléon ni préjugés ni passions, c’est-à-dire jamais un jugement sur les personnes et sur les choses que la raison ne l’eût dicté, et je n’ai jamais vu dans ce qu’on aurait pu appeler passions que de pures sensations ; aussi je dis avec vérité que, dans l’habitude de dix-huit mois, je ne l’ai jamais trouvé n’ayant pas raison.

Un autre point dont j’ai pu me convaincre, et que je consigne ici parce qu’il me revient en ce moment, c’est que, soit nature, soit calcul, soit habitude de la dignité, il renfermait la plupart du temps et gardait en lui-même les impressions de la peine vive qu’on lui causait, et encore peut-être davantage les émotions de bienveillance qu’il éprouvait. Je l’ai surpris souvent à réprimer des mouvements de sensibilité, comme s’il s’en fût trouvé compromis : tôt ou tard j’en fournirai quelques preuves. En attendant, voici un trait caractéristique qui va trop au but que je me propose dans ce Journal, celui de montrer l’homme à nu, de prendre la nature sur le fait, pour que j’aie dû me trouver arrêté par d’autres considérations.

Napoléon, depuis quelques jours, avait quelque chose sur le cœur, il avait été extrêmement choqué d’une circonstance domestique ; il s’en trouvait vivement blessé. Durant ces trois jours, pendant lesquels nous nous sommes promenés chaque matin à l’aventure dans le parc, il y est revenu presque chaque fois avec chaleur, me faisant tenir très près à son côté et ayant ordonné à mon fils de pousser en avant. Dans un certain moment, il lui arriva de dire : « Je sais bien que je suis déchu ; mais le ressentir de l’un des miens ! ah !… »

Ces paroles, son geste, son accent m’ont percé l’âme ; je me serais précipité à ses genoux, je les aurais embrassés si j’eusse pu.

« L’homme est exigeant, a-t-il continué, susceptible ; il a souvent tort,