Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/472

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roulaient vers ce grand but. L’issue eût été plus facile et plus prompte ; mais le destin en a ordonné autrement. Enfin une dernière chance, et ce pourrait être la plus probable, ce serait le besoin qu’on aurait de moi contre les Russes ; car dans l’état actuel des choses, avant dix ans toute l’Europe peut être cosaque ; ou toute en république ; voilà pourtant les hommes d’État qui m’ont renversé…

Et puis revenant sur la décision des souverains à son égard, à son style, au fiel qu’elle témoigne : « Il est difficile de les expliquer, a-t-il dit. »

« François ! Il est religieux, et je suis son fils.

« Alexandre ! nous nous sommes aimés !

« Le roi de Prusse ! je lui ai fait beaucoup de mal sans doute ; mais je pouvais en faire davantage ; et puis n’y a-t-il donc pas de la gloire, une véritable jouissance à s’agrandir par le cœur !

« Pour l’Angleterre, c’est à l’animosité de ses ministres que je suis redevable de tout ; mais encore serait-ce au prince régent à s’en apercevoir, à interférer, sous peine d’être noté de fainéant ou de protéger une vulgaire méchanceté ?

« Ce qu’il y a de sûr, c’est que tous ces souverains se compromettent, se dégradent, se perdent en moi… »


Déclaration exigée de nous. – Visite d’adieu de l’ancien gouverneur. – Conversation remarquable. – Saillie d’un vieux soldat anglais.


Vendredi 19, samedi 20.

L’Empereur avait le projet de déjeuner dans le jardin ; le grand maréchal et madame Bertrand étaient venus en suite de cette intention. L’Empereur avait passé une mauvaise nuit, n’avait point dormi ; il a déjeuné dans son intérieur.

Le gouverneur nous a notifié officiellement que nous devions lui donner chacun notre déclaration, exprimant que nous demeurions volontairement à Longwood, et que nous nous soumettions d’avance à toutes les restrictions que nécessiterait la captivité de Napoléon. Je lui ai adressé la mienne.

Le colonel Wilks, repassant en Europe, est arrivé avec sa fille pour prendre congé de l’Empereur ; elle a été présentée par madame Bertrand. J’ai déjà dit que le colonel Wilks était l’ancien gouverneur de la colonie pour la compagnie des Indes ; c’est lui que l’amiral avait remplacé en cette qualité, au nom du roi, lorsque notre translation à Sainte-Hélène avait fait passer cette île des mains de la compagnie dans celles du gouvernement.