Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/485

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l’Atlas ; il avait souvent lu la bataille d’Iéna avec le général Blucher, au quartier-général duquel il était commissaire de sa nation dans la campagne de 1814 ; il avait toujours admiré les expressions libérales, l’esprit de modération et d’impartialité avec lesquels l’Angleterre, bien qu’ennemie, y était constamment traitée ; mais certains passages équivoques l’avaient grandement frappé dans le temps, remarquait-il ; c’étaient des passages d’opposition ou de censure envers celui qui nous gouvernait. Il les expliquait par ma qualité et mes doctrines d’ancien émigré, et aujourd’hui cela lui semblait une singulière contradiction de me retrouver ici auprès de cette personne.

Or, nous venions d’apprendre que sir Hudson Lowe avait toujours été en Italie un chef de haute police, un agent actif d’espionnage et d’embauchage. Je n’ai pu me défendre, je l’avoue, de soupçonner dans cette conversation certaine insinuation. S’il en eût été ainsi, et l’Empereur n’en a pas douté, la chose était assez bien embarquée de sa part, et si je me fusse moins respecté, je pouvais lui faire beau jeu et le laisser aller fort loin, mais je me suis contenté de répondre qu’il s’était tout à fait mépris sur l’application des passages équivoques, et qu’ils ne pouvaient s’adresser à Napoléon, puisqu’il me voyait auprès de lui.

J’ai trouvé chez moi, au retour, deux ouvrages français que sir Lowe m’avait envoyés dès le matin, avec un billet dans lequel il exprimait son espoir qu’ils seraient agréables à l’Empereur. Le croirait-on ! le premier de ces ouvrages était l’Ambassade de Varsovie, par l’abbé de Pradt… Première méchanceté de sir Hudson Lowe ! car c’était une nouveauté, il est vrai, mais un véritable libelle, uniquement dirigé contre Napoléon.

Quant au second, au premier instant je l’ai cru un trésor ; j’ai pensé qu’il allait tout à fait nous tenir lieu des Moniteurs, et nous fournir tous les matériaux qui nous manquaient. C’était le Recueil des proclamations et de toutes les pièces officielles de Napoléon comme général, comme Premier Consul, comme Empereur ; mais il était du libelliste Goldsmith fort incomplet ; les plus beaux bulletins sont supprimés, etc. Toutefois, dans cet état d’imperfection, ce Recueil demeure encore le plus beau monument qu’aucun homme ait jamais laissé sur la terre.

L’Empereur, après le dîner, s’est amusé à lire dans Goldsmith quelques-unes de ses proclamations à l’armée d’Italie. Elles réagissaient sur lui-même, il s’y complaisait, il en était ému. « Et ils ont osé dire que je ne savais pas écrire ! » s’est-il écrié.

Il est ensuite passé aux proclamations d’Égypte, et a beaucoup plai-