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fois de lui en faire passer une, ou même de le mettre sur le trône de sa maison, alléguant que ce ne serait qu’alors que cette puissance marcherait de bonne foi avec moi. Il offrait de me donner en espèce d’otage son fils pour aide de camp en outre de toutes les garanties imaginables. »

L’Empereur disait s’en être même occupé. Il avait balancé quelque temps avant son mariage avec Marie-Louise. Mais depuis, continuait-il, il en eût été incapable ; il se sentait des sentiments trop bourgeois sur l’article des alliances, disait-il : « L’Autriche était devenue ma famille, et pourtant ce mariage m’a perdu. Si je ne m’étais pas cru tranquille et même appuyé sur ce point, j’aurais retardé de trois ans la résurrection de la Pologne ; j’aurais attendu que l’Espagne fût soumise et pacifiée. J’ai posé le pied sur un abîme recouvert de fleurs, etc., etc… »


L’Empereur souffrant – Premier jour de complète réclusion – Ambassadeurs persan et turc – Anecdotes.


Lundi 29.

Sur les cinq heures, le grand maréchal m’a fait une petite visite dans ma chambre ; il n’avait pu voir l’Empereur, qui était resté enfermé toute la journée, étant souffrant, et n’ayant voulu voir personne. Sur la fin du jour, je suis allé me promener dans les allées que l’Empereur parcourt d’ordinaire vers ce temps ; j’étais triste de m’y trouver seul. Nous avons dîné sans lui.

Sur les neuf heures, au moment où je calculais que la journée se serait écoulée sans que je le visse, il m’a fait demander ; je lui ai témoigné de l’inquiétude. Il m’a dit qu’il était bien ; « qu’il ne souffrait pas ; qu’il lui avait pris fantaisie de demeurer seul ; qu’il avait lu toute la journée, et qu’elle lui avait paru courte et d’un calme parfait. »

Cependant il avait l’air triste, ennuyé. Dans son désœuvrement, il a pris mon Atlas, qui s’est ouvert à la mappemonde ; il s’est arrêté sur la Perse. « Je l’avais bien judicieusement ajustée, a-t-il dit. Quel heureux point d’appui pour mon levier, soit que je voulusse inquiéter la Russie ou déborder sur les Indes ! J’avais commencé des rapports avec ce pays, et j’espérais les amener jusqu’à l’intimité, aussi bien qu’avec la Turquie. Il était à croire que ces animaux eussent assez compris leurs intérêts pour cela ; mais ils m’ont échappé l’un et l’autre au moment décisif. L’or des Anglais a été plus fort que mes combinaisons ! quelques ministres infidèles auront, pour quelques guinées, livré l’existence de leur pays ; résultat ordinaire sous des monarques de sérail ou des rois fainéants ! »

De là, l’Empereur, laissant la haute politique, est passé à des anec-