Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dotes de sérail, puis aux Persans de Montesquieu et à ses Lettres, qu’il disait pleines d’esprit, d’observations fines, et surtout la satire sanglante du temps. Il s’est ensuite arrêté sur les ambassadeurs turc et persan qui ont demeuré à Paris sous son règne. Il me demandait quelle impression ils avaient produite dans la capitale ; s’ils y faisaient des visites, s’ils recevaient du monde, etc., etc.

Je répondais qu’un moment ils avaient occupé la capitale, et fort longtemps fait le spectacle de la cour, le Persan surtout. À son arrivée, il recevait volontiers, et comme il distribuait facilement des essences et allait même jusqu’aux châles, il y eut fureur parmi les femmes ; mais le grand nombre le força bientôt de borner sa libéralité, et dès lors, et le moment de la vogue passé, il ne fut plus question de lui. J’ajoutais à l’Empereur qu’à la cour, et quand Sa Majesté n’y était pas, nous nous étions permis parfois, très inconsidérément sans doute, quelques espiègleries à leur égard. Un jour, entre autres, à un concert de l’impératrice Joséphine, Askerkan, avec sa longue barbe peinte, s’ennuyant sans doute de cette musique, s’endormit debout adossé à la muraille, ses pieds un tant soit peu en avant, appuyés à un fauteuil que retenait le coin de la cheminée. On trouva gai de le lui soutirer doucement, de sorte qu’il manqua glisser tout de son long, et ne se retint qu’en faisant un bruit effroyable. C’était celui des deux qui entendait le mieux la plaisanterie. Cependant cette fois il se fâcha violemment ; et,