Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/499

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Voyez-vous bien l’ensemble du tableau ? l’empesure compromise de Cambacérès, l’hilarité de tout le Conseil, et l’embarras de la pauvre Marie-Louise, épouvantée de tout son succès. »

La conversation avait duré longtemps ainsi, et peut-être y avait-il déjà plus de deux heures que j’étais avec l’Empereur. Je m’étais évertué à babiller tant et plus pour le distraire, et j’avais réussi. L’Empereur s’était ranimé ; il avait ri. Quand il me renvoya il était beaucoup mieux, et moi je partais heureux.


Deuxième jour de réclusion – L’Empereur reçoit le gouverneur dans sa chambre – Conversation caractéristique.


Mardi 30.

Je devais aller dîner avec mon fils à Briars, chez notre hôte, à notre ancienne demeure. Sur les trois heures et demie, je suis allé prendre les ordres de l’Empereur ; il était comme hier, et n’avait pas le projet de sortir davantage.

Un instant avant d’arriver à Hut’s-gate, chez madame Bertrand, j’ai rencontré le gouverneur qui allait à Longwood. Il m’a demandé comment se portait l’Empereur. Je lui ai dit que j’en étais inquiet, qu’il n’avait reçu aucun de nous hier, qu’il m’avait dit ce matin être bien, mais qu’à son visage j’eusse préféré qu’il m’eût dit être incommodé.

Vers les huit heures et demie nous nous sommes mis en route pour revenir à Longwood ; il faisait très obscur. Le temps s’est mis à une pluie battante, aussi vive, aussi mordante que la grêle ; nous avons fait la course la plus désagréable, la plus pénible, la plus dangereuse ; à chaque instant à la veille de nous précipiter dans les abîmes, parce que nous galopions au hasard sans rien voir. Nous sommes arrivés transpercés.

L’Empereur avait donné l’ordre de m’introduire chez lui à mon retour. Il était bien ; mais il n’était pas sorti plus que la veille, et n’avait pas reçu davantage. Il m’attendait, a-t-il dit, et avait beaucoup de choses à me raconter.

Ayant appris que le gouverneur était venu, il l’avait admis dans sa chambre, bien que n’étant pas habillé et se trouvant obligé de garder son canapé. Il avait parcouru vis-à-vis de lui, dans le calme le plus parfait, disait-il, tous les points qui pouvaient se présenter naturellement à l’esprit. Il a parlé de protester contre le traité du 2 août, où les monarques alliés le déclarent proscrit et prisonnier. Il demandait quel était le droit de ces souverains de disposer de lui sans sa participation, lui qui était leur égal, et avait été parfois leur maître.