Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/55

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victimes ; deux femmes, m’a-t-on dit, y ont péri. Enfin nous mettons sous voiles pour Sainte-Hélène, treize jours après notre arrivée à Plymouth et quarante après notre départ de Paris.

Les ministres anglais avaient fort blâmé le respect qu’on avait témoigné à l’Empereur à bord du Bellérophon : ils avaient donné des ordres en conséquence ; aussi affectait-on, à bord du Northumberland, des expressions et des manières toutes différentes : on s’empressait ridiculement surtout de se recouvrir devant lui ; il avait été sévèrement enjoint de ne lui donner d’autre qualification que celle de général, et de ne le traiter qu’à l’avenant. Tel fut l’ingénieux biais, l’heureuse conception qu’enfanta la diplomatie des ministres d’Angleterre, tel fut le titre qu’ils imaginèrent de donner à celui qu’ils avaient reconnu comme premier consul ; qu’ils avaient si souvent qualifié de chef du gouvernement français, avec lequel ils avaient traité comme Empereur à Paris, lors de lord Lauderdale, et peut-être même signé des articles à Châtillon. Aussi, dans un moment d’humeur, échappa-t-il à l’Empereur de dire en expressions fort énergiques : « Qu’ils m’appellent comme ils voudront, ils ne m’empêcheront pas d’être moi ! » Il était en effet bizarre et surtout ridicule de voir les ministres anglais mettre une haute importance à ne donner que le titre de général à celui qui avait gouverné l’Europe, y avait fait sept à huit rois, dont plusieurs retenaient