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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/56

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encore ce titre de sa création ; qui avait été plus de dix ans Empereur des Français, avait été oint et sacré en cette qualité par le chef suprême de l’Église ; qui comptait deux ou trois élections du peuple français à la souveraineté ; qui avait été reconnu Empereur par tout le continent de l’Europe, avait traité comme tel avec tous les souverains, et conclu, avec eux tous, des alliances de sang et d’intérêts : il réunissait donc sur sa personne la totalité des titres religieux, civils et politiques qui existent parmi les hommes, et que, par une singularité bizarre, mais vraie, aucun des princes régnant en Europe n’eut pu montrer accumulée de la sorte sur le premier, le chef, le fondateur de sa dynastie. Toutefois l’Empereur, qui avait eu l’intention de prendre un nom d’incognito, en débarquant en Angleterre, celui de colonel Duroc ou Muiron, n’y songea plus dès qu’on s’obstina à lui disputer ses vrais titres.


Description minutieuse du logement de l’Empereur à bord du Northumberland. — Détails et habitudes de l’Empereur à bord.


Mardi 8, mercredi 9.

Le vaisseau était dans la plus grande confusion, il était encombré d’hommes et d’objets ; nous étions partis dans une si grande hâte que presque rien à bord n’était à sa place, et que, sous voiles, on travaillait sans relâche à l’armement du vaisseau.

Voici la description minutieuse de la partie du vaisseau que nous avons occupée. L’espace en arrière du mât d’artimon renfermait deux pièces en commun et deux chambres particulières ; la première était la salle à manger, d’environ dix pieds de large, ayant de long toute la largeur du vaisseau, éclairée par un sabord aux deux extrémités, et par un vitrage supérieur ; le salon était composé de tout le reste, diminué de deux chambres symétriques, à droite et à gauche, chacune ayant une entrée sur la salle à manger et une autre sur le salon. L’Empereur occupait celle de gauche, où on avait dressé son lit de campagne ; l’amiral avait celle de droite. Il avait été strictement recommandé surtout que le salon demeurât en commun, qu’il ne fût pas abandonné à l’Empereur en propre ; les ministres avaient poussé la sollicitude jusqu’à s’alarmer d’une si triviale déférence.

Nous faisions voile, autant que le vent nous le permettait, pour sortir de la Manche, longeant les côtes de l’Angleterre, où l’on envoyait à chaque port chercher des provisions et compléter les besoins du vaisseau. Il nous vint beaucoup d’objets de Plymouth, d’où plusieurs bâtiments nous rejoignirent ; il en fut de même de Falmouth.

Nous faisions route pour traverser le golfe de Gascogne et doubler le