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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/572

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du Bengale. Lady Loudon, femme de lord Moira, gouverneur général de l’Inde, était au nombre des passagers.

Aujourd’hui, dans le cours de la conversation, le nom de Hoche ayant été prononcé, quelqu’un a dit qu’il était bien jeune encore, mais qu’il donnait beaucoup d’espérances, « C’est bien mieux que cela, a repris Napoléon, dites qu’il les avait déjà beaucoup remplies. » Ils s’étaient vus tous les deux, continuait-il, et avaient causé deux ou trois fois. Hoche avait pour lui de l’estime jusqu’à l’admiration. Napoléon n’a pas fait difficulté de dire qu’il avait sur Hoche l’avantage d’une profonde instruction et les principes d’une éducation distinguée. Du reste, il établissait cette grande différence entre eux. « Hoche, disait-il, cherchait toujours à se faire un parti, et n’obtenait que des créatures ; moi, je m’étais créé une immensité de partisans, sans rechercher nullement la popularité. De plus, Hoche était d’une ambition hostile, provocante ; il était homme à venir de Strasbourg avec vingt-cinq mille hommes saisir le gouvernement par force, tandis que moi je n’avais jamais eu qu’une politique patiente, conduite toujours par l’esprit du temps et les circonstances du moment. »

L’Empereur ajoutait que Hoche, plus tard, ou se serait rangé, ou se serait fait écraser par lui ; et comme il aimait l’argent, les plaisirs, il ne doutait pas qu’il ne se fût rangé. Moreau, dans cette même circonstance, disait-il, n’avait su faire ni l’un ni l’autre ; aussi Napoléon n’en faisait aucun cas, et le regardait comme tout à fait incapable, n’entendant pourtant pas en cela parler de son mérite militaire. « Mais c’était un homme faible, disait-il, mené par ses alentours, et servilement soumis à sa femme : c’était un général de vieille monarchie. »

« Hoche, continuait l’Empereur, périt subitement et avec des circonstances singulières qui donnèrent lieu à beaucoup de conjectures ; et comme il existait un parti avec lequel tous les crimes me revenaient de droit, l’on essaya de répandre que je l’avais fait empoisonner. Il fut un temps où rien de mauvais ne pouvait arriver que je n’en fusse l’auteur ; ainsi, de Paris, je faisais assassiner Kléber en Égypte ; à Marengo, je brûlais la cervelle à Desaix ; j’étranglais, je coupais la gorge dans les prisons ; je prenais le pape aux cheveux, et cent absurdités pareilles ; toutefois, comme je n’y faisais pas la moindre attention, la mode s’en passa ; je ne vois pas que ceux qui m’ont succédé se soient empressés de la réveiller ; pourtant s’il eût existé un seul de ces crimes, ils ont à leur disposition les documents, les exécuteurs, les complices, etc., etc…