Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/577

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Le Premier Consul n’est pas moins remarquable dans la conservation du droit de Français aux enfants nés de Français établis en pays étranger, qu’il fit étendre de beaucoup, en dépit de fortes oppositions. « La nation française, disait-il, nation grande et industrieuse, est répandue partout ; elle se répandra encore davantage par la suite, mais les Français ne vont chez l’étranger que pour y faire leur fortune. Les actes par lesquels ils paraissaient se rattacher momentanément à un autre gouvernement ne sont faits que pour obtenir une protection nécessaire à leurs projets. S’il est dans leur intention de rentrer en France quand leur fortune sera achevée, faudra-t-il les repousser ? Se fussent-ils même affiliés à des ordres de chevalerie, il serait injuste de les confondre avec les émigrés qui ont été prendre les armes contre leur patrie.

Et s’il arrivait un jour qu’une contrée envahie par l’ennemie lui fût cédée par un traité, pourrait-on avec justice dire à ceux de ses habitants qui viendraient s’établir sur le territoire de la république, qu’ils ont perdu leur qualité de Français pour n’avoir pas abandonné leur ancien pays au moment même où il a été cédé, parce qu’ils auraient prêté momentanément serment à un nouveau souverain pour se donner le temps de dénaturer leur fortune et de la transporter en France ? »

Dans une autre séance sur les décès des militaires, quelques difficultés s’élevant sur ceux mourant en terre étrangère, le Premier Consul reprit vivement : « Le militaire n’est jamais chez l’étranger lorsqu’il est sous le drapeau ; où est le drapeau, là est la France ! »

Sur le divorce, le Premier Consul est pour l’adoption du principe, et parle longuement sur la cause d’incompatibilité qu’on cherchait à repousser ; il dit : « On prétend qu’elle est contraire à l’intérêt des femmes, des enfants, et à l’esprit des familles ; mais rien n’est plus contraire à l’intérêt des époux, lorsque leur humeur est incompatible, que de les réduire à l’alternative ou de vivre ensemble ou de se séparer avec éclat. Rien n’est plus contraire à l’esprit de famille qu’une famille divisée[1].

« Le mariage prend sa forme des mœurs, des usages, de la religion de chaque peuple ; c’est par cette raison qu’il n’est pas le même partout. Il est des contrées où les femmes et les concubines vivent sous le même toit, où les enfants des esclaves sont traités à l’égal des autres ; l’organisation des familles ne dérive donc pas du droit naturel : les mariages des Romains n’étaient pas organisés comme ceux des Français.

« Les précautions établies par la loi pour empêcher qu’à quinze, à dix-huit ans, on ne contracte avec légèreté un engagement qui s’étend à toute la vie, sont certainement sages ; cependant sont-elles suffisantes ?

  1. (Note de Wikisource : texte retranché de cette édition) « Les séparations de corps avaient autrefois, par rapport à la femme, au mari, aux enfants, à peu près les mêmes effets que le divorce, et pourtant n’étaient-elles pas aussi multipliées que les divorces le sont aujourd’hui ? seulement elles avaient cet inconvénient de plus, qu’une femme effrontée continuait de déshonorer le nom de son mari, parce qu’elle le conservait, etc. »
    « Plus loin, combattant la rédaction d’un article qui spécifie les causes pour lesquelles le divorce sera admissible : « Mais quel malheur, dit-il, ne serait-ce pas que de se voir forcé à les exposer, et à révéler jusqu’aux détails les plus minutieux et les plus secrets de l’intérieur de son ménage ?
    « D’ailleurs ces causes, quand elles sont réelles, opéreront-elles toujours le divorce ? La cause de l’adultère, par exemple, ne peut obtenir de succès que par des preuves toujours très difficiles, souvent impossibles. Cependant le mari qui n’aurait pu les faire serait obligé de vivre avec une femme qu’il abhorre, qu’il méprise, et qui introduit dans sa famille des enfants étrangers. Sa ressource serait de recourir à la séparation de corps, mais elle n’empêcherait pas que son nom ne continuât à être déshonoré. »
    Revenant à appuyer de nouveau le principe du divorce, et combattant certaines restrictions, il dit encore dans un autre moment : « Le mariage n’est pas toujours, comme on le suppose, la conclusion de l’amour. Une jeune personne consent à se marier pour se conformer à la mode, pour arriver à l’indépendance et à un établissement. Elle accepte un mari d’un âge disproportionné, dont l’imagination, les goûts, les habitudes ne s’accordent pas avec les siens ; la loi doit donc lui ménager une ressource pour le moment où, l’illusion cessant, elle reconnaît qu’elle se trouve dans des liens mal assortis, et que sa volonté a été séduite.