Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/60

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revenait pas de la quantité de choses qu’il y trouvait, de l’ordre et de l’à-propos dans lesquels elles se présentaient ; il n’avait eu jusque-là, disait-il, nulle idée de cet ouvrage. C’étaient les cartes géographiques seules qu’il parcourait, passant toutes les autres ; la mappemonde surtout fixait particulièrement son attention et son suffrage. Je n’osais lui dire et lui prouver que la géographie était néanmoins la partie faible ; qu’elle présentait beaucoup moins de travail et de fond ; que les tableaux généraux et les tableaux généalogiques étaient bien supérieurs : les tableaux généraux pouvant être difficilement surpassés par leur méthode, leur symétrie, leur clarté et la facilité de leur usage ; et les tableaux généalogiques présentant, chacun isolément, une petite histoire entière du pays qu’ils concernent, ils en étaient tout à la fois et sous tous les rapports l’analyse a plus complète et les matériaux les plus élémentaires.

L’Empereur me demandait si cet ouvrage n’était pas employé dans toutes les éducations. S’il l’eût connu, disait-il, il en eût rempli les lycées et les écoles. Il me demandait aussi pourquoi je l’avais publié sous le nom emprunté de Le Sage. Je répondais que j’en avais publié l’esquisse très informe en Angleterre, au moment de mon émigration, dans un temps où nous exposions nos parents au-dedans par nos seuls noms au-dehors ; et puis encore l’avais-je fait peut-être aussi, lui disais-je en riant, dans mes préjugés d’enfance, à la façon des nobles bretons qui, pour ne pas déroger, déposaient leur épée au greffe durant le temps de leur négoce, etc.

Tous les jours après son dîner, l’Empereur, comme je l’ai déjà dit, se levait fort longtemps avant tout le monde, et le grand maréchal et moi ne manquions pas de le suivre sur le pont ; j’y demeurais même souvent seul, parce que le grand maréchal descendait alors auprès de sa femme, habituellement souffrante.

L’Empereur, après les premières observations sur le temps, le sillage du vaisseau, le vent, prenait un sujet de conversation ; on revenait même à celui de la veille ou des jours précédents ; et après dix ou douze tours de promenade sur la longueur du pont, il allait s’appuyer de coutume sur l’avant-dernier canon de la gauche du vaisseau, près du passavant. Les midshipmen (jeunes aspirants) eurent bientôt remarqué cette prédilection d’habitude, et ce canon ne fut appelé dans le vaisseau que le canon de l’Empereur.

C’est là que l’Empereur causait souvent des heures entières, et que j’ai entendu pour la première fois une partie de ce que je vais raconter ; avertissant, du reste, que je transporte ici en même temps ce que j’ai