Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/671

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Un autre évènement mit Talleyrand à même d’être encore agréable au Directoire. Dans un café ou lieu public, chez Garchi, deux jeunes gens, sous prétexte de ralliement politique, suspectés par la manière dont leurs cheveux étaient tressés, furent insultés, attaqués, assassinés. Ce guet-apens avait été dirigé par les ordres du ministre de la police, Sottin, et par ses agents. Or, les circonstances étaient déjà telles pour le général d’Italie, que, bien qu’au fond de son domicile, il était obligé néanmoins, pour sa propre sûreté, de porter une attention inquisitive sur des évènements de cette nature. Il fit éclater son indignation, et Talleyrand lui fut envoyé pour le calmer. Celui-ci disait qu’un pareil évènement était commun en temps de crise, que les moments de révolution sortaient de la loi commune, qu’ici il devenait nécessaire d’en imposer à la haute société, et de réprimer la hardiesse des salons ; qu’il était des genres de fautes que les tribunaux ne sauraient atteindre où réprimer ; qu’on ne pouvait sans doute approuver la lanterne de l’Assemblée constituante, et que cependant sans elle la révolution n’eût jamais marché ; qu’il est des maux qu’on doit tolérer, parce qu’ils évitaient de plus grands maux. Le général répondait qu’un pareil langage eût été tout au plus supportable avant fructidor, lorsque les partis étaient en présence, et qu’on avait mis le Directoire plutôt dans le cas de se défendre que dans la situation d’administrer ; qu’alors, peut-être, cet acte eût pu s’excuser sur la nécessité ; mais qu’aujourd’hui que ce gouvernement se trouvait investi de toute la puissance, que la loi ne trouvait d’opposition nulle part, que les citoyens étaient tous sinon affectionnés, du moins soumis, cette action devenait un crime atroce, un véritable outrage à la civilisation ; que partout où se prononçaient les mots de loi et de liberté, tous les citoyens demeuraient solidaires les uns des autres ; qu’ici, dans cette expédition de coupe-jarrets, chacun devait se trouver frappé de terreur, se demander où cela s’arrêterait, se croire sous le régime des janissaires. Ces raisons étaient trop plausibles pour avoir besoin d’être développées à un homme de l’esprit et du caractère de M. de Talleyrand ; mais il avait une mission, il cherchait à justifier une administration dont il ambitionnait de conserver la faveur et la confiance.


Voltaire – Jean-Jacques – Anglais et Français, différence caractéristique – M. de Châteaubriand ; son discours pour l’Institut – Colères feintes de l’Empereur ; ses principes à cet égard.


Samedi 1er juin.

L’Empereur m’a fait venir ; il avait pris un bain de trois heures. Il me donnait à deviner ce qu’il avait lu ; c’était la Nouvelle Héloïse qui