Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/672

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l’avait tant charmé à Briars. En l’analysant de nouveau, il la sabrait cette fois tout à fait. Le rocher de la Meillerie est venu en citation ; il croyait l’avoir détruit par la route qu’il avait fait ouvrir pour le passage du Simplon ; je l’ai assuré qu’il en restait encore assez pour en conserver le parfait souvenir : il s’avançait, disais-je, en saillie sur le chemin même, et ferait encore, au besoin, un très beau saut de Leucade.

L’Empereur attribuait en grande partie au beau portrait de milord Édouard, dans la Nouvelle Héloïse, et à quelques pièces de théâtre de Voltaire, la belle réputation du caractère anglais en France. Il s’étonnait de la facilité de l’opinion dans ces temps-là : Voltaire et Jean-Jacques l’avaient gouvernée à leur gré ; ils seraient bien moins heureux aujourd’hui. Si Voltaire, surtout, avait régné sur ses contemporains, disait-il, s’il avait été le héros du temps, c’est que tous alors n’étaient que des nains.

On a lu à l’Empereur un discours de M. de Châteaubriand pour rendre le clergé apte à hériter. C’était, disait-il, un discours d’Académie, et non pas une opinion de législateur. Il y avait beaucoup d’esprit, fort peu de sens, aucune vue. « Laissez hériter le clergé, continuait l’Empereur, et personne ne mourra sans être obligé de payer son absolution ; car, de quelque opinion qu’on soit, personne ne sait où il va en quittant la vie. C’est là le grand, le dernier compte ; aussi personne ne peut répondre de son dernier sentiment ni de la force de sa tête. Qui peut dire que je ne mourrai pas dans les bras d’un confesseur, et qu’il ne me fera pas faire amende honorable pour le mal même que je n’aurai pas fait ? »

Lors de la catastrophe de 1814, M. de Châteaubriand s’est signalé par des pamphlets si outrageusement passionnés, tellement virulents, si effrontément calomnieux, qu’il est à croire qu’il les regrette à présent, et qu’un aussi beau talent que le sien ne se prostituerait pas à les reproduire aujourd’hui.

Quelques années avant nos désastres, l’Empereur, lisant quelques morceaux de cet écrivain, demanda comment il se faisait qu’il ne fût pas de l’Institut. Ces paroles furent aussitôt une recommandation toute puissante, et M. de Châteaubriand fut bientôt nommé à la presque unanimité. C’était un usage de rigueur à l’Institut que le récipiendaire fit l’éloge de son prédécesseur : M. de Châteaubriand, s’écartant de la route battue, consacra une partie de son discours à flétrir les principes politiques de M. Chénier son devancier, et à le proscrire comme régicide. Ce fut un vrai plaidoyer politique, où il discutait la restauration de la monarchie, le jugement et la mort de Louis XVI. Ce fut alors une grande rumeur dans tout l’Institut ; les uns refusant d’entendre un discours