Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/68

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val dans ses expéditions, spécialement durant sa grossesse de Napoléon. Madame avait un grand caractère, de la force d’âme, beaucoup d’élévation et de fierté. Elle a eu treize enfants, et eût pu facilement en avoir beaucoup d’autres, étant devenue veuve à environ trente ans, et ayant prolongé au-delà de cinquante la faculté d’en avoir. De ces treize enfants, cinq garçons seulement et trois filles ont vécu, et tous ont joué un grand rôle sous le règne de Napoléon.

Joseph, l’aîné de tous, qu’on voulut mettre d’abord dans l’église, à cause de l’archevêque de Lyon, Marbeuf, qui tenait la feuille des bénéfices, fit ses études en conséquence ; mais il s’y refusa absolument lorsque le moment arriva de s’engager. Il a été successivement roi de Naples et d’Espagne.

Louis a été roi de Hollande ; et Jérôme, roi de Westphalie ; Élisa, grande-duchesse de Toscane ; Caroline, reine de Naples ; Pauline, princesse Borghèse. Lucien, que son second mariage et une fausse direction de caractère privèrent sans doute d’une couronne, ennoblit du moins son opposition et ses différends avec son frère, en venant, au retour de l’île d’Elbe, se jeter dans ses bras, et cela lorsqu’il était loin de regarder ses affaires comme assurées. Lucien, disait l’Empereur, eut une jeunesse orageuse ; dès l’âge de quinze ans, il fut mené en France par M. de Sémonville, qui en fit de bonne heure un révolutionnaire zélé et un clubiste ardent. Et à ce sujet Napoléon disait qu’on trouvait dans les nombreux libelles publiés contre lui quelques adresses ou lettres signées Brutus Bonaparte, ou autrement, qu’on lui attribuait ; il n’affirmerait pas, continuait-il, que ces adresses ne fassent de quelqu’un de la famille ; tout ce qu’il pouvait assurer, c’est qu’elles n’étaient pas de lui, Napoléon.

J’ai vu le prince Lucien de fort près au retour de l’île d’Elbe ; il eût été difficile de montrer des idées politiques plus saines, mieux arrêtées, ainsi qu’un dévouement plus absolu et mieux intentionné.


Madère, etc. – Vent très fort – Jeu d’échecs.


Mardi 22 au samedi 26.

Le 22 nous eûmes connaissance de Madère ; à la nuit nous arrivâmes devant le port ; deux bâtiments seuls furent envoyés au mouillage pour les besoins de l’escadre. Le vent était très fort, la mer fort grosse ; l’Empereur s’en trouva gêné, et j’en fus fort malade. Il ventait coups de vent ; l’air était excessivement chaud et comme chargé de sable extrêmement fin : c’étaient ces vents terribles du désert d’Afrique qui en transportaient