Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/685

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encore assez de cohésion dans toutes ces parties hétérogènes pour qu’elles pussent réagir convenablement les unes sur les autres ; cependant cela fût venu avec le temps, assurait-il. On lui faisait remarquer qu’il avait beaucoup contribué à raccourcir les soirées de la capitale. Tout ce qui tenait au gouvernement travaillait beaucoup, et, devant se lever de grand matin, était obligé de se coucher de fort bonne heure.

« Ce fut, du reste, un grand étonnement pour Paris, disait l’Empereur, une véritable révolution dans les mœurs, presque une sédition dans la société, lorsque le Premier Consul voulut qu’on quittât les bottes pour venir en société, qu’on se mît en bas, et qu’on soignât tant soit peu sa toilette. »

L’Empereur revenait beaucoup sur ce qui formait le bon ton et les manières agréables des sociétés de sa jeunesse. Il s’est arrêté surtout à définir ce qui rendait alors les intimités agréables ; la teinte légère de flatterie réciproque, ou du moins l’opposition fine et délicate, etc., etc.


Résistance à la médecine – Gil-Blas – Général Bizanet.


Jeudi 6.

Je n’ai vu l’Empereur qu’à six heures ; il était demeuré dans sa chambre, souffrant, et n’avait encore rien mangé de la journée. Il se trouvait du malaise, disait-il, et s’amusait en ce moment à parcourir des gravures sur la ville de Londres, que le docteur lui avait prêtées. Celui-ci avait eu l’honneur de le voir dans la journée, et l’avait beaucoup fait rire. « Apprenant que je n’étais pas bien, disait l’Empereur, il avait prétendu se saisir de moi comme de sa proie, en me conseillant aussitôt une médecine, à moi qui ne me rappelle point en avoir jamais pris dans ma vie. »

Il était déjà plus de sept heures ; l’Empereur a dit que celui qui se sentait faim n’était pas bien malade. Il a demandé à manger, on lui a apporté un poulet, qu’il a trouvé excellent : cela l’a remis ; il est devenu causant, et a passé en revue divers romans français. La lecture de Gil Blas avait rempli la plus grande partie de sa journée. Il était plein d’esprit, disait-il, mais il aurait mérité les galères lui et tous les siens. De là il s’est mis à parcourir un recueil chronologique, et s’est arrêté sur la belle affaire de Berg-op-Zoom par le général Bizanet.

« Que de belles actions pourtant, disait l’Empereur, ont été se perdre dans la confusion de nos désastres, ou même dans la multiplicité de celles que nous avons produites ! Celle de Berg-op-Zoom est du nombre : la garnison naturelle de cette place était de huit à dix mille