Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/694

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facilement des préjugés, croyait peu à la vertu, était d’un patriotisme assez exalté. C’est un problème que de savoir s’il s’est enrichi au Directoire : il était environné de fournisseurs, il est vrai ; mais, par la tournure de son esprit, il serait possible qu’il se fût plu seulement dans la conversation d’hommes actifs et entreprenants, et qu’il eût joui de leurs flatteries sans leur faire payer les complaisances qu’il avait pour eux. Il avait une haine particulière contre le système germanique ; il a montré de l’énergie dans les assemblées, soit avant ou après sa magistrature ; il aimait à travailler et à agir ; il avait été membre de la Constituante et de la Convention : celle-ci le nomma commissaire à Mayence, où il montra peu de caractère et nul talent militaire ; il contribua à la reddition de la place, qui pouvait encore se défendre. Il avait, comme les praticiens, un préjugé d’état contre les militaires.

« Carnot, natif de Bourgogne, était entré très jeune dans le génie, et soutint dans son corps le système de Montalembert. Il passait pour un original parmi les camarades, et était déjà chevalier de Saint-Louis lors de la révolution, qu’il embrassa chaudement. Il fut nommé à la Convention et membre du comité de salut public avec Robespierre, Barrère, Couthon, Saint-Just, Billaud-Varennes, Collot-d’Herbois, etc. Il montra une grande exaltation contre les nobles, ce qui lui occasionna plusieurs querelles avec Robespierre, qui, sur les derniers temps, en protégeait un grand nombre.

« Carnot était travailleur, sincère dans tout, mais sans intrigues, et facile à tromper. Il fut employé auprès de Jourdan comme commissaire de la Convention au déblocus de Maubeuge, où il rendit des services ; au comité de salut public, il dirigea les opérations de la guerre, et il fut utile ; du reste, sans expérience ni habitude de la guerre. Il montra toujours un grand courage moral.

« Après thermidor, lorsque la Convention mit en arrestation tous les membres du comité de salut public excepté lui, Carnot voulut partager leur sort. Cette conduite fut d’autant plus noble, que l’opinion publique était violemment prononcée contre le comité. Il fut nommé membre du Directoire après vendémiaire ; mais depuis le 9 thermidor il avait l’âme déchirée par les reproches de l’opinion publique, qui attribuait au comité tout le sang qui avait coulé sur les échafauds. Il sentit le besoin d’acquérir de l’estime, et en croyant diriger lui-même, il se laissa entraîner par des meneurs du parti de l’étranger. Alors il fut porté aux nues ; mais il ne mérita pas les éloges des ennemis de la patrie ; il se