Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/742

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mait énergiquement quand sur son roc il me disait ces paroles mémorables que j’ai déjà citées : « Non, mes véritables souffrances ne sont point ici ! »

Mais voici d’autres sujets, les uns plaisants, d’autres plus graves. Un jour le conseiller d’État, général Gassendi, se trouvant prendre part à la discussion du moment, s’y appuya de la doctrine des économistes ; l’Empereur, qui l’aimait beaucoup à titre d’ancien camarade de l’artillerie, l’arrêtant, lui dit : « Mais, mon cher, qui vous a rendu si savant ? où avez-vous pris de tels principes ? » Gassendi, qui parlait rarement, après s’être défendu de son mieux, se trouvant dans ses derniers retranchements, répondit qu’après tout c’était de lui, Napoléon, qu’il avait pris cette opinion. « Comment ! s’écria l’Empereur avec chaleur, que dites-vous là ? est-ce bien possible ? Comment ! de moi, qui ai toujours pensé que s’il existait une monarchie de granit, il suffirait des idéalités des économistes pour la réduire en poudre ! » Et après quelques autres développements, partie ironiques, partie sérieux, il conclut : « Allons, mon cher, vous vous serez endormi dans vos bureaux, et vous y aurez rêvé tout cela. » Gassendi, qui se fâchait aisément, lui riposta : « Oh ! pour nous endormir dans nos bureaux, Sire, c’est une autre affaire, j’en défierais bien avec vous, vous nous y tourmentez trop pour cela. » Et tout le Conseil de rire, et l’Empereur plus fort que les autres.