Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/823

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l’Angleterre. Toutefois notre organisation avait été manquée ; je l’avais bien soupçonné, et c’est pour cela que je vous avais envoyé en mission. Votre rapport eut parfaitement répondu à mes vues. Vous abordez franchement la chose, en honnête homme, sans craindre de déplaire au ministre en lui enlevant une foule de nominations.

« Il y a grand nombre de vos détails qui me plaisent. Pourquoi n’êtes-vous pas venu m’en parler vous-même ? vous m’auriez satisfait, j’eusse appris à vous juger. – Sire, pour cette fois cela m’eût été impossible ; nous étions déjà dans la confusion et l’encombrement causés par nos malheurs. Vous y faites une observation très juste, vous posez une base incontestable : c’est que, dans l’état florissant où j’avais placé l’empire, il n’y avait nulle part de bras qui pussent manquer de travail. La paresse, les vices seuls pouvaient enfanter les mendiants.

« Vous pensez que leur extirpation totale était possible ; moi aussi, et j’en étais convaincu. Votre levée en masse pour construire une vaste et unique prison par département, tout à la fois appropriée au repos de la société et au bien-être des reclus ; votre idée d’en faire des monuments pour des siècles eussent attiré mon attention. Cette gigantesque entreprise, son utilité, son importance, la durée de ses résultats, tout cela était dans mon genre.

« Quant à votre université du peuple, je crains bien que ce ne fût une belle chimère de philanthropie du pur abbé de Saint-Pierre, mon cher ; toutefois, il y a du bon dans la masse des idées, mais il faudrait une autre force de caractère, une autre raideur de persévérance que nous n’en avons généralement pour faire arriver quelque chose à bien.

« Du reste, je vois ici et j’entends de vous journellement des idées que je ne vous soupçonnais pas, et ce n’est pas du tout ma faute ; vous étiez près de moi, que ne vous communiquiez-vous ? il ne m’était pas donné de deviner. Ces idées, eussiez-vous été ministre, et quelque chimériques qu’elles m’eussent paru tout d’abord, n’en eussent pas moins été accueillies, parce qu’il n’est pas, à mon avis, d’idéalités qui n’aient un résidu positif, et que souvent un germe faux, à l’aide de régularisation, conduit à un résultat vrai. J’eusse mis à vos trousses des commissions qui auraient dépecé vos projets ; vous les auriez défendus par votre autorité, et moi, en connaissance de cause, j’eusse prononcé par mon propre jugement et ma seule décision. Tels étaient mon faire et mes intentions. J’ai donné l’élan à l’industrie, je l’ai mise en pleine marche par toute l’Europe ; j’eusse voulu en faire autant de toutes les facultés intellectuelles, mais on ne m’a pas laissé de loisir ;