Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/824

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il me fallait féconder au galop, et malheureusement trop souvent je ne jetais que sur du sable et dans des mains stériles.

« Quelles sont les autres missions que je vous ai données ? – Une en Hollande, une autre en Illyrie. – En avez-vous les rapports ? – Oui, Sire. – « Allez me les chercher. » Mais je n’étais pas encore à la porte qu’il m’a dit : « Non, revenez, épargnez-moi plutôt de telles lectures !… Au fait, elles sont désormais sans objet. » Tout ce que me découvraient là de telles paroles !!!…

Au sujet de l’Illyrie, l’Empereur a repris : « Jamais, en acquérant l’Illyrie, mon intention n’avait été de la garder ; jamais il n’entra dans mes idées de détruire l’Autriche : elle était au contraire indispensable à mes plans. Mais l’Illyrie dans nos mains était une avant-garde au cœur de l’Autriche, propre à la contenir ; une sentinelle aux portes de Vienne pour forcer de marcher droit ; et puis je voulais y introduire, y enraciner nos doctrines, notre administration, nos codes ; c’était un pas de plus vers la régénération européenne. Je ne l’avais prise qu’en gage, je comptais la rendre plus tard contre la Galicie, lors du relèvement de la Pologne, que j’ai précipitée malgré moi. Au demeurant, j’ai eu plus d’un projet sur cette Illyrie, car j’en changeais souvent : j’avais peu d’idées véritablement arrêtées, et cela parce que je ne m’obstinais pas à maîtriser les circonstances, mais que je leur obéissais bien plutôt, et qu’elles me forçaient de changer à chaque instant ; aussi la plupart du temps n’avais-je, à bien dire, pas de décisions, mais seulement des projets. Toutefois, après mon mariage surtout, l’idée dominante avait été d’en faire pour l’Autriche le gage et l’indemnité de la Galicie lors du rétablissement, à tout prix, de la Pologne en Couronne séparée, indépendante, et il m’importait peu sur quelle tête, amie, ennemie, alliée, pourvu que cela fût ; le reste m’était égal. Mon cher, j’ai eu de vastes projets et en grand nombre... » Et puis, revenant brusquement à mon rapport, il m’a dit : « J’ai vu que vous aviez parcouru un grand nombre de départements ; votre mission a-t-elle été longue ? La course a-t-elle été agréable ? Y avez-vous bien profité ? Avez-vous beaucoup recueilli ? Jugeâtes-vous bien de l’état du pays, de celui de l’opinion ? etc., etc.

Je me rappelle à présent que je vous choisis précisément parce que vous reveniez de votre mission d’Illyrie, et que j’avais trouvé dans vos rapports des choses qui m’avaient frappé ; car c’est étonnant comme il me revient chaque jour à présent des choses qui, dans le temps, m’ont frappé en vous, et qui, par une fatalité singulière, se sont entièrement effacées dès le lendemain. Pour ces missions spéciales et de confiance, je me faisais présenter le décret avec les noms en blanc,