Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/95

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morts s’amoncellent dans Asparn, les boulets le détruisent, l’incendie finit par en dévorer les restes ; on s’y bat corps à corps à l’arme blanche avec le plus grand acharnement. Masséna se multiplie, tous ses officiers sont frappés à deux pas de lui ; il est le seul que le feu de l’ennemi n’atteint pas, semblant connaître et respecter le fils chéri de la victoire. Il fallait toute l’opiniâtreté de Masséna pour conserver ce poste si périlleux, mais si important, pris et repris quatorze fois dans ces deux jours. Après la rupture des ponts, le combat n’était plus qu’une horrible boucherie sans résultat, mais absolument nécessaire pour sauver l’honneur français, et même cette partie de l’armée sur la rive gauche du fleuve, car il ne fallait pas songer à repasser au milieu du combat, de jour et en présence d’un ennemi si nombreux, un défilé tel que le faible pont de pontons ; il fallait absolument gagner la nuit, et jusque-là en imposer à l’archiduc. Vers midi, l’ennemi s’avisa enfin d’attaquer l’îlot qui est en arrière d’Asparn, et qui n’opposait qu’un bras étroit, presque dépourvu d’eau. Quelques postes des nôtres, en très faible quantité, garnissaient cet îlot extrêmement boisé ; ils sont repoussés et ramenés de l’autre côté. Les balles de l’ennemi arrivent assez épaisses sur la communication d’Asparn avec le pont : le danger était des plus grands. Si l’ennemi s’avançait en force de ce côté, si seulement il se maintenait sur les bords de l’îlot, les troupes qui étaient à Asparn se trouvaient prises à dos et ramenées près du pont ; on perdait une demi-lieue de terrain et l’appui principal de la position. Deux pièces à mitraille furent aussitôt tournées de ce côté. Heureusement l’ennemi laissa le temps à la brigade Vivier d’accourir ; mais il fallut y envoyer aussi toute la division Molitor, réduite à quelques centaines d’hommes ; elle réussit à contenir l’ennemi, et ce ne fut pas le moindre des services que Molitor rendit dans cette terrible journée.

« L’archiduc avait reformé sa ligne, rétabli ses batteries, et recommencé ses attaques sur Asparn et Essling. Il fait marcher contre ce dernier quatre bataillons de grenadiers de la réserve, qu’il avait enfin rapprochée de la ligne. Ceux-ci n’éprouvent pas moins de résistance. La division Boudet, enfermée en partie dans un grand clos, repousse cinq assauts avec la plus grande valeur. Les grenadiers hongrois sont si mal menés, que l’archiduc est obligé d’accourir encore pour les retenir sur la ligne.

« Cependant, à force d’essayer de tous les points de la position, le prince Charles finit par disposer sur le centre une attaque effrayante pour l’armée française. Ceux qui voyaient clair aux affaires de guerre conçurent dans cet instant les plus vives inquiétudes. On apercevait, en face de l’intervalle trop dégarni qui sépare Asparn d’Essling, la crête